Mardi 10 Mars 2009
Chroniques de l'Hyperinfantilisation quotidienne.
19 heures. Je viens de revenir at home. J'allume la radio, pour faire du bruit. Vielle habitude, allumer un appareil pour combler le silence. France-truc, enfin un machin bien classique et bien-pensant.
Il s'agit d'un "débat" sur les dernières mesures d'interdiction votées concernant l'alcool et le tabac.
Interdire les open bar, interdire la vente d'alcool et tabac aux mineurs, interdire la vente d'alcool dans les stations services entre 18h et 6h. On parle d'interdire les happy hours aussi. C'est clairement (but avoué du discours officiel) destiné aux jeunes.

Je me remémore toutes les récentes interdictions ou mesures répressives. Permis à points. Radars automatiques. Téléphone au volant. Permis à 6 points pour les jeunes conducteurs. Interdiction de fumer dans les lieux publics. Dans les bars. Lois mémorielles. ( Gayssot...). Loi sur la parité. Sur les propos "homophobes". Halde. Hadopi.
On pourrait l'étendre à l'infini. Toujours plus légiférer.

Je m'interroge sur cette société qui veut à la fois jouer aux parents et aux enfants. Qui s'extasie devant ces progrès de papier ( pacs, (discours de) repentance, "progrès éducatif", droit à la non-discrimination, droits aux logement, droit à tout court ) tout autant qu'elle réclame des interdictions réelles.

Je m'interroge sur ces mesures des fois objectivement grotesques. Dernier cas rigolo: le gilet fluo et le triangle d'avertissement. On "doit" déployer le triangle 200m avant lorsque l'on est en panne. Soit. La loi passe, tout le monde célèbre ce progrès formidable.
Six moi plus tard, les sociétés d'autoroutes communiquent pour expliquer que c'est un acte absolument dangereux (certains citoyens appliqués se sont vraisemblablement fait renversés. ), à déconseiller, et que l'on devrait revoir la loi.
Les automobilistes connaisseurs -- eux qui possédaient déjà ces fameux triangles, et les déployaient ou non en fonction du contexte, de leur appréciation de la situation -- peuvent rire un bon coup. Ou pleurer pour les plus sensibles.
La bonne expression pour décrire la situation est, je crois: "une mesure d'infantilisation prise par un enfant". J'y reviendrais.


Pourquoi j'appelle tout cela de l'infantilisation ? A cause de la nature et des objectifs de ce mesures, de la fin et des moyens. Elles procèdent toutes selon le même schéma:
D'abord, on pose "quelque chose" - un sujet social, sociétal, rarement politique - comme étant incontestablement le Bien. Exemples: baisser la mortalité sur la route. Ou les "victimes" du tabac, ou de l'alcool. Combattre le racisme, le sexisme, le viellisme, le jeunisme, la discrimination, les antisémites, l'homophobie, les pirates.
Ce quelque chose a ceci de particulier que ce n'est pas un sujet politique mais plutôt de société. Que le fait même de le décréter comme Bien implique donc une certaine philosophie de vie. Que via un astucieux binarisme, personne sauf un monstre inhumain - c'est toute l'astuce dialectique - ne pourrait s'y opposer. Qui est pour l'oppression des femmes ? Pour plus de morts sur la route ? Pour violenter les homos ? Pour voler les artistes ? Etc.
Ensuite, on politise, ou plutôt étatise le sujet. Les jeunes boivent trop ? l'état doit y répondre. L'industrie du disque est en difficulté à cause des pirates ? L'état doit y répondre. Il y a des discriminations à l'embauche ? Pareil. Du sexisme ? l'état va s'en occuper. Des morts su la route ? (quelle idée !) L'état va s'en occuper. Des hommes qui battent leur femme ? idem. Et cætera.
Enfin, puisque par complicité entendue entre les "victimes" et les hommes politiques l'état doit y répondre, il va y répondre. Il y répond en prenant de mesures de "d'interdiction de bon sens": mettre des radars, punir plus sévèrement les racistes, interdire la vente de boisson alcoolisé là oû le jeune en achète en pleine nuit, interdire de fumer en lieu publique, punir gentillement mais automatiquement le pirate...
Le coup de l'alcool pour les jeunes est éclairant: on ne peut interdire de vendre de l'alcool, et même à ces cons de jeunes puisque là ils ont plus de 18 ans. Alors on va interdire là où aujourd'hui ils en achèteraient en pleine nuit. Ils ont le droit d'acheter de l'alcool, le droit de boire en pleine nuit.... mais comme un parent qui s'occupe de son enfant, on place le paquet de bonbon en haut de l'armoire pour que l'enfant ne puisse y accéder. Puisque c'est pour son bien !
Il est autorisé formellement à en consommer à volonté, mais en période de crise de bonbon, on les place en haut de l'armoire pour lui éviter une crise de foi. Il est suffisamment bête pour ne pas avoir fait de réserves avant, ni pour voir qu'on l'arnaque, non ?
Hadopi, avec son "au bout de trois croix t'es puni, soit sage !" est particulièrement édifiant également. Même logique que le permis à point, remarque. On a juste poussé la débilité plus loin. La bêtise humaine n'a pas de limite.

De manière plus générale, la nature de ces moyens est, au moins dans la philosophie, anti-républicaine et anti-rationelle au sens des Lumières. Les radars, Hadopi ou la Halde, qui ont en commun délation et automatisation de la sanction, vont contre la vielle idée de Justice. (que chaque homme doit être jugé selon les circonstances et par un humain, peut être défendu, etc.). Les lois mémorielles vont contre l'ancienne idée du Parlement et de l'Histoire. Les lois sur l'homophobie ou la racisme vont contre l'ancienne idée de Loi (pas un "droit à chacun" communautaire, mais un "droit qui s'impose à tous, pour tous" et s'apprécie dans la sanction à chaque fois. ), les radars vont contre l'ancienne idée de police (pas là pour "surveiller tout le monde", mais pour "être là en cas de problème", pas pour jeter la suspicion systématique sur le citoyen mais le protéger. ).
Etc. C'est toute une vielle idée de la République et de l'homme rationnel - ou adulte - qui part en lambeau.

Alors, l'infantilisation ?
Eh bien, comment ça marche des parents ? L'enfant, trop petit pour pourvoir décider lui-même, doit être fermement ( mais gentillement ) encadré par ses parents, qui sont en charge de lui transmettre les valeurs du Bien, du Mal, de la morale.
Cette évidence autorise aux parents des moyens très spécifiques: sanction sans justification, méthodes "pédagogiques", pas de justice discuté et contradictoire mais l'autorité d'en haut (les parents ) qui décide des sanctions, parce que "c'est bien" ou "c'est pas bien", sanction lors de "délits moraux", etc.
Tant les valeurs du Bien et du Mal que les moyens mis en œuvre ne sont pas discutables. ( C'est ça que les ados énervés refusent. )
C'est pas mauvais lorsque'il s'agit d'enfants, en tout cas je n'ai pas beaucoup mieux à proposer. Des parents s'y prennent plus ou moins bien, mais c'est une autre histoire... C'est toujours ce schéma là qui reste, globalement.

Et bien, ce schéma... c'est exactement celui des mesures que je décris depuis le début. Mais là c'est l'état les parents, les citoyens les enfants. Enfin, l'état.. les structures de la société: on voit le même genre de phénomène dans des universités, des entreprises, les médias, ... L'état, comme superstructure la plus voyante, prend juste sa part.


Donc, pour synthétiser: une bande de citoyens, qui se voient eux-même (ou du moins les autres) comme des enfants, et qui demandent donc à d'autres enfants de prendre des mesures d'adultes pour éduquer les enfants. A moins que, par propriété d'émergence, l'état fait par des enfants se comporte comme un adulte ? ça me parait demander beaucoup de foi..

Ainsi, non seulement on peut se révolter contre le fait d'être traité comme un gamin, mais de plus... on est traité comme un gamin par de mauvais adultes, par des plus gamins que nous en fait. Ce qui fait que ça ne marche pas et que ces mesures sont souvent débiles.
Un parent conscient sait que le jeune de 17 ans qui le veut va faire des conneries, va picoler à l'excès, va se droguer, va tenter quelques expériences. Interdire ne changera plus rien, c'est trop tard. Le parent peut se poser dans le rôle moral du refus ou de l'opposition, c'est même sain, mais il sait bien qu'il franchira les limites quand même.
L'adulte conscient sait que les autres adultes ont besoin chacun de leur petit excès, de leur liberté, de leur irrationnel, que c'est la meilleur manière d'évacuer certaines choses. Que ça marche mieux en tout cas que la prohibition.
L'adulte conscient sait que la vie comporte intrinsèquement des risques, que, par définition même, vivre c'est risquer sa vie. Alors il la protège raisonnablement sans être paranoïaque non plus: en grandissant, il a appris à accepter la vie avec ses aspect les moins séduisants, il a plus ou moins guéri de ses névroses de jeunesse, dues à la séparation de soi et du monde, de la non-symbiose, donc du conflit et du violent, que doit affronter le jeune bébé.
L'adulte conscient sait que la sexualité ou l'amour est génial parce que c'est privé, c'est à dire une respiration hors-du-monde, parce qu'il peut transgresser la morale publique également. "Discuter sexualité" avec ses enfants m'a toujours paru être une ânerie sans commune mesure. Rien de mieux pour tuer la sexualité.
La sexualité a besoin de tabous (inceste, tabou générationel, ne pas parler de l'intime en publique, etc. ) et de rareté publique pour rester intéressante. Elle a besoin d'être intime, d'être peu représentée, d'être hors-du-monde: c'est l'activité qui doit être la plus a-politique qui soit. Répéter "dans votre lit aussi c'est une relation politique" "vos relations de couple sont politiques", etc, relève d'une incompréhension totale et du sexuel et du politique. Tout rapport de force n'est pas une chose politique. C'est le rapport de force publique, des groupes et intérêts économiques ou idéologiques sont sont politiques. Le rapport mutuel de domination-dépendance que l'on entretient avec une femme aimé n'a rien de politique.
C'est d'ailleurs aisé de constater que ceux qui tiennent ces discours sont à la foi mal-baisé et mauvais politiciens.
Fin de digression.

On m'oppose souvent: oui mais tes histoires c'est gentil si tout le monde était intelligent et responsable, or on voit que ce n'est pas le cas. Trois choses à répondre:
-prendre des mesures pour des enfants par des enfants encore plus enfants que les premiers, en tout état de cause, ne me semble guère mieux.
-C'est vrai que les gens ne sont pas des êtres rationnels parfaits... Mais ça aussi il faut le comprendre et l'accepter, et choisir malgré tout de leur laisser leur responsabilité, leur liberté. Malgré certaines conséquences "néfastes". Par philosophie. Mais aussi parce que l'autre modèle, de toute façon, fait pire.
-En effet, à force de traiter des gens comme des gamins, ils réclament encore plus de papa-moman pour tout et n'importe quoi. Or comme dans la vraie vie l'état ne peut devenir aussi présent que les parents d'un nourrisson, ça peut se finir tragiquement. Exemple: cette histoire du triangle sur l'autoroute. Ou ces supporters du Losc écrasés: "ben c'est vrai quoi, c'était ouvert on pouvait donc aller dessus" (sic). De la part des autorité: "c'est vraiment anormal que ça ait pu être possible, l'état doit tout faire pour que [...]". Enfants et parents s'étonnent simultanément que la vie réelle conserve quelques risques non pris en charge par les parents. Oser devoir réfléchir et apprécier ? ne pas vivre sur de la moquette douce qu'avec des nounours ? ( aussi des trucs qui piquent ). In-admissible !!!!!!


Bonsoirs les enfants ! J'espère que ça vous a plu ! Si j'ai le courage, je ferais peut-être prochainement un article lié, dans la suite logique, partant de l'infantilisation pour explorer le totalitarisme.
Devoirs à rendre pour la prochaine foi: Liens entre totalitarisme et infantilisation ?
Devoir facultatif pour les meilleurs élèves: corriger les fautes de français du professeur, qui fait bien sûr exprès afin de détecter les élèves citoyens vigilants qui par cet action participeront pleinement à l'élaboration du cours comme œuvre citoyenne collaborative et commune émergente.
Devoir civique de la semaine: signaler à la HALT ( Haute Autorité de la Lutte contre les Tricheurs ) ceux qui recopieraient le devoir.

A la semaine prochaine dans un monde plus humaniste, citoyen et participatif ! Bisounours powaaa !

6. very à 10:09 14/03/2009 -
>Pourquoi? Je n'en suis pas si sur, tu as sans doute beaucoup de prejuges alors que la realite ici irait peut etre tres bien avec ta mentalite.
Pour vraiment savoir il faudrait que j'y reste quelques temps...
Mais j'ai un tempérament... pas forcément libertaire mais anarchisant.. je n'ai pas forcément besoin d'une société délité, mais pas étouffante... je sais pas, j'aime beaucoup l'Espagne et l'Italie et n'aime pas l'Allemagne par exemple. [ ce n'est pas une question de respect, mais d'apprécier y vivre ou non. ]
Je respire beaucoup mieux, même dans des vieux milieux traditionnels espagnols ou italiens qu'en Allemagne... donc c'est pas tellement qu'une question de "délitement moderne" ou de "normes", c'est je sais pas, un certain rapport au groupe (et donc du groupe à l'individu )

Pour reprendre la typologie toddienne, je constate me sentir bien es dans endroits aux valeurs libérales+égalitaires. L'Allemagne et le Japon, c'est exactement l'inverse...

J'ai toujours ressenti dans ces sociétés un frisson de totalitarisme (tout semble trop ordonné, soudé, uniforme, la liberté personnelle semble maigre, etc. ), ce qui est aussi une certaine forme d'admiration, mais bon...

Bon ensuite je sais qu'il s'agit vraiment de préférences personnelle, de détermination aussi.
Peut-être bien que ça construit des gens plus heureux, ces systèmes. Mais tant pis..

5. liquid à 03:13 14/03/2009 -
Au moins tu es lucide.

"Dépend pour qui. Moi je ne supporterais pas d'y rester trop longtemps."
Pourquoi? Je n'en suis pas si sur, tu as sans doute beaucoup de prejuges alors que la realite ici irait peut etre tres bien avec ta mentalite.

Il y a effectivement une couche superficielle de disneyland ici, c'Est marrant au debut jusqu'a ce qu'on voit apparaitre toutes les tumeurs cachees de la societe.
Mais c'est sans doute comme un peu partout : on l'aime et le deteste en meme temps.
En restant pragmatique, sans y voir un paradis, on arrive quand meme a voir quelque chose de formidable dans l'ensemble (je n'irais pas jusqu'a comparer a l'allemagne).

4. very à 17:19 13/03/2009 -
>la vie y est plus apreciable qu'en france
Dépend pour qui. Moi je ne supporterais pas d'y rester trop longtemps.
Mais de toute manière si le Japon ( ou l'Allemagne ) peuvent faire "marcher" ça (ce petit parfum totalitaire de perfection uniforme...), en France on en sera incapable je pense... et j'en suis bien heureux.

Ensuite, pas vraiment le même monde bisounours que celui que je décris au Japon (y'a de ça, mais je pense qu'ils sont bien plus cohérents que la version qu'on nous présente ici - ici, on vend le beur et l'argent du beur )

Sinon, je répète, je n'oppose pas à la version bisounours-enfants une autre version bisounours de tout le monde gentil responsable. (bisounours-libéral ou bisounours-adulte, quoi)
J'y oppose une certaine vision du monde réel (tel qu'il a assez longtemps existé, et qu'il existe en vrai pas mal encore -- il s'agit ici surtout de discours et représentations ) avec ses contradictions, ses oppositions, sa violence réelle, ses aspects négatifs et positifs.
Je ne suis pas un vendeur de paradis. (par contre je gerbe ceux qui nous vendent l'enfer rebatisé paradis... )

Je ne pense pas que le paradis soit intéressant ( c'est la négation de l'homme. ) et de toute façon je ne le crois pas possible chez les hommes ( les sociétés qui semblent paradisiaques ont souvent des tares cachées très profondes, qui explosent à l'occasion. )

3. liquid à 08:11 13/03/2009 -
"pour des enfants par des enfants encore plus enfants que les premiers"
Ca, rien ne le prouve.

Sinon, ton monde de bisounours existe, c'Est le Japon. Et malgre des defauts (aucune societe n'Est parfaite), la vie y est plus apreciable qu'en france. Il y a un gap impressionant, voire choquantlorsque l'on l'experimente.

Tout ca pour dire que TES valeurs partent peut etre d'une bonne intention et de qq reflexions censees, mais elles ne sont ni universelles, ni garanties a construire une societe libertaire ou tout le monde serait gentiment responsable (un bisounoursland sans loi quoi).

2. very à 10:20 11/03/2009 -
C'est gentil pour la dernière phrase :)

Sinon oui on peut trouver différents mots ou concepts, proches, et si on traite un citoyen comme un enfant, on le déresponsabilise...
Je crois que infantilisation est pas mal pour commencer, parce que facilement compréhensible, bien adapté à la situation, et pas trop violent ou jargonant. ( alors que si tu commences direct à parler de "néo-fascisme mou" on voit pas trop de quoi ça parle... )

1. Ethaniel à 10:02 11/03/2009 -
#crayon#
Personnellement, je ne parle pas d’infantilisation mais de déresponsabilisation, dont je me plains depuis des années.
Déresponsabilisation du citoyen par l’État, mais c’est le citoyen qui le demande !
Mais ton analogie entre État/citoyen et parents/enfants est intéressante, et couvre plus de choses (la déresponsabilisation que j’observe grandir n’explique pas HADOPI).

Le 7e paragraphe, celui qui explique comment marche la relation parents/enfants, m’a fait pensé à un truc que j’ai lu il y a peu — mais pas moyen de retrouver la source :|  — et qui disait en gros : « démocratie en société, communisme en famille ».


Sinon, concernant la forme provocatrice qui occulte le fond intéressant, je dois avouer que tu t’améliores (ou alors c’est moi qui m’y habitue :p ).

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