Bon, suite à la discussion initiée dans plptp, je me farcis du pâté que je voulais rédiger sur l'enseignement de façon générale d'une part, mais aussi plus particulièrement sur les problèmes que ça amène dans les filières qu'on peut qualifier (à tort ou à raison) d'excellence (grandes écoles, cursus de thèse, cursus de pharmacie ou de médecine...).
La discussion est partie de deux problèmes distincts : d'une part, une réflexion générale sur l'utilisation de nouvelles technologies dans l'enseignement, et d'autre part sur le fait que que certains étudiants, après un bac scientifique et deux années de prépas, sont incapables de résoudre une équation bilan.
Il y a plusieurs constats à faire, sur des plans totalement différents.
Le premier est dû à la situation politique générale liée aux chiffres : comme il faut bien trouver des critères pour découper et répartir le budget global dédié à l'enseignement (supérieur) (ce budget étant fini, mais le gouvernement cherchant à motiver les établissements, il les mets en concurrence au niveau des résultats et des projets), les établissements passent (perdent ?) énormément de temps à réunir, modifier et trouver des solutions pour faire évoluer à leur avantage les critères ministériels. C'est comme ça, c'est un peu une jungle dans laquelle on demanderait à un guépard et à un lion de travailler ensemble pour traquer une gazelle, alors qu'on sait très bien au final que la gazelle est tellement maigre qu'il n'y a à manger que pour un. Et pour pimenter le tout, on déciderait de donner un extra au premier à bouffer l'animal.
Le second est dû au désintéressement des parents pour l'éducation de leurs enfants. Ca n'a pas directement sa place dans l'enseignement supérieur recruté sur sélection (en règle générale, ce sont quand même des étudiants qui ont été cadrés ou qui se sont eux-mêmes cadrés), mais ça se sent quand même beaucoup dans les rapports humains.
Le troisième point est que, clairement, les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas plus bêtes ou moins intelligents qu'il y a plusieurs dizaines d'années. Par contre, ils ont totalement perdu confiance en eux. Ils sont submergés entre deux tentations ; l'une est celle du plaisir de l'instant (ce qui n'est pas nouveau, les soirées estudiantines ne sont pas nouvelles, bien au contraire) et l'autre est celle que je vais développer dans le point suivant...
Le quatrième point est celui qui pose le plus question, parce qu'il est le fruit d'une révolution qui a couvé pendant près de 10 ans, mais qui n'est plus possible de masquer. Les jeunes (je pense que la première génération à avoir commencé à être confronté à ça est la mienne) ont vu leur quotidien transformé, chamboulé par les nouvelles technologies. Le rapport à l'information, à la connaissance, à son exploitation et à sa présentation a été profondément bouleversé. On est réellement conditionné par un système (la question n'est pas de savoir si c'est bien ou mal, hein, les précédents étaient aussi conditionnés par un système, mais il était différent) où le surprenant, le fascinant, ce qui reste en mémoire doit être travaillé pour stimuler le plaisir et la curiosité. Ce qui est ennuyeux n'est plus vendeur, et c'est problématique : la connaissance est devenue une marchandise comme les autres, qui doit avoir sa promotion, ses bonimenteurs, ses accroches si elle veut pouvoir rivaliser avec tout le reste.
Oh, bien entendu, ce n'est pas un problème nouveau... de tous temps, les plaisirs divers et variés ont tenté les étudiants. Mais ce qui a changé, c'est la violence psychologique, son professionnalisme, qui posent problème.
Il y a deux solutions, face à cette situation. Soit se dire qu'il faut utiliser ces tentations comme un nouveau moyen de sélection des étudiants, au risque de faire exactement comme l'industrie du disque à l'heure actuelle, qui ferme les yeux sur la réalité technologique et sur les mentalités de la jeunesse. Soit se poser la question des façon dont il faut (et d'urgence) faire évoluer les approches disciplinaires, pour arriver à rivaliser autant que possible (en utilisant ce qu'on a appris d'eux) avec toutes ces formes de plaisirs qui [nous] tentent.
Le problème, c'est qu'on ne trouvera pas de solution rapidement. D'une part parce qu'on a pris beaucoup de retard. D'autre part, parce que ça oblige à une totale remise en question de méthodes qui ont plusieurs décennies. Et enfin, parce que les nouvelles technologies et les sciences cognitives utilisées par les publicitaires et les commerciaux évoluent à une vitesse telle qu'on a vraiment du mal à anticiper ce qui sera pérenne.
Il est d'ailleurs possible (et probable), au final, qu'on ne révolutionne pas le cœur du métier de l'enseignement mais qu'on ne fasse qu'en changer l'enveloppe (comme on a fait quand on est passé de la transmission orale à la transmission écrite, puis à l'imprimerie... ça n'a pas rendu la parole des philosophes antiques caduque, on a juste changé la façon de transmettre).
Ne pas trouver de solution immédiate, outre le fait que ça implique de remettre en cause tout un système, implique aussi que des générations d'étudiants seront "sacrifiées", parce qu'il y aura un décalage entre leur monde et celui de l'enseignant/de l'enseignement. Mais ce sacrifice n'est peut être pas inutile. Finalement, il correspond exactement à la société dans laquelle ces étudiants, futurs professionnels, auront à graviter. Finalement, en les obligeant - malgré nous - à faire un grand écart, même si on n'arrive pas à leur faire avoir le niveau qu'on aimerait qu'ils aient, on les oblige à devenir les bricoleurs (de génie) qui devront se débrouiller dans ce grand n'importe quoi qu'est bien parti pour être cette première moitié de XXIème siècle.
(Bon troll )