(1) un parti unique contrôlant l'appareil d'État et dirigé par un chef charismatique ;
Ça ça n'existe pas du tout. Pas de parti unique, et pas de leader charismatique. L'exécutif d'exception, à savoir le Comité de Salut Public, compte 9 à 12 membres. Il n'y a pas de culte de la personnalité, mais s'il doit y avoir un membre particulièrement populaire et charismatique, c'est Robespierre. Mais il n'a pas de majorité stable. Celui qui détient la majorité, en particulier pendant la Grande Terreur, c'est Barère. Barère a un contrôle étroit du Comité de Sûreté Générale, qui envoie les suspects devant le tribunal révolutionnaire.
(2) une idéologie d'État promettant l'accomplissement de l'humanité ;
ok
(3) un appareil policier recourant à la terreur ;
Certes !
Encore que là il s'agisse plus d'un appareil judiciaire sinistre, que des appareils policiers sinistres des régimes totalitaires.
(4) une direction centrale de l'économie et ;
Ouh la non. La Révolution libéralise la propriété privée, supprime pas mal d'impôts, supprime les douanes intérieures... La Terreur correspond aussi à l'abolition définitive de la féodalité dans les campagnes.
Il n'y a pas d'abolition des moyens privés de production, etc. Et je ne pense pas qu'à cette époque on pense à une politique industrielle globale, ce genre de chose.
(5) un monopole des moyens de communication de masse.
Certainement pas. La Terreur marque un contrecoup dictatorial par rapport à la liberté étonnante des années 89-92, mais l'expression reste plus libre que sous l'Ancien Régime.
En résumé : avant la Révolution, il n'y a qu'un quotidien officiel, peu politisé (
Le Journal de Paris), plus une multitude d'écrits clandestins interdits par la censure.
La Révolution étend largement la liberté et l'importance de la presse. Dans la décennie 1789-1799, il y a de l'ordre de 1500 journaux qui paraissent. Des feuilles d'opinion rivales et enfiévrées. Des journaux revendicatifs sont affichés dans les lieux publics, puis recouverts par des journaux rivaux... C'est aussi l'explosion des billets, affiches et tracts ; des sessions de lecture publique sont organisés pour les analphabètes. Sans aucune intervention étatique.
La presse est complètement autonome et c'est aussi le temps des calomnies et insultes systématiques. Il n'y a pas de distinction faite entre un commentaire engagé et un compte-rendu factuel. La presse a comme projet de promouvoir les nouvelles vertus républicaines, et en même temps elle manque encore largement de l'éthique journalistique moderne.
L'évolution de la pensée révolutionnaire s'est faite largement à travers la presse, dès avant 1789, la presse clandestine contribuant en le discrédit de la monarchie. Tout au long de la décennie, les grands débats sur les institutions et l'orientation politique se jouent dans la presse.
Cette presse d'une grande vitalité est au cœur de la nouvelle opinion publique. Elle est un trait d'union entre le peuple révolutionnaire et ses élus. La plupart des grandes figures révolutionnaires sont journalistes occasionnels ou réguliers.
La nouvelle presse est majoritairement révolutionnaire, mais il y a aussi une presse royaliste, avec des titres comme
L'Ami du roi et
Actes des apôtres, etc...
La presse a été réprimée avec la guerre et la Terreur, en particulier la presse royaliste a disparu. Pour autant la presse subsistante n'était pas aux ordres du politique. Les journaux interdits étaient ouvertement subversifs (genre
L'Ami du roi encourage les officiers de l'armée à démissionner, en pleine guerre). D'autre part les lieux d'expression se sont déplacé des journaux aux clubs politiques. Il s'agissait donc d'une atteinte dictatoriale à l'expression, et non totalitaire. Le pouvoir politique n'a jamais eu le monopole de l'expression.
Les atteintes envers la liberté de la presse ont été plus importantes sous le Directoire, et surtout après le coup d'état de Napoléon, que sous la Terreur.
On aurait eu un troisième type de totalitarisme "évident", le pgcd serait sûrement différent...
Un totalitarisme, c'est quelque chose qui est proche de ce pgcd, sinon ce n'est pas un totalitarisme. Il faut bien arrêter un sens aux mots.
Cela dit cette caractérisation est très limitée, ok. Il manque plein de choses, en particulier le culte de la personnalité, la décomposition de tous les liens sociaux, la machine mangeuse d'hommes, le concept de domination totale, et surtout ce qu'Arendt appelle la
désolation.
Si on se dirige plus philosophiquement dans la recherche de l'essence politique du totalitarisme, on s'aperçoit vite que la Terreur n'est pas loin d'en être une préfiguration. (et comme montré précédemment les faits ne manquent pas non plus ).
Ben non justement, en lisant un peu Arendt on se rend compte de l'originalité profonde des totalitarismes.
Ce rappel continuel au totalitarisme me gêne parce qu'il appauvrit considérablement la lecture politique.
Le XXième siècle européen a été dramatique pour ça, entre le péril nazi et la bipolarisation de la guerre froide, on en est venu à se représenter le champ politique comme un axe, dont les deux pôles sont la démocratie libérale et le totalitarisme. En France la situation est aggravée par l'exposition médiatique des "nouveaux philosophes" dont la pensée, très faible, se fonde sur l'opposition au totalitarisme.
Mais le champ politique est bien plus riche que cet axe à une dimension. Pour moi le totalitarisme n'est *pas* un concept politique fondamental, en général. On s'en passe très bien pour parler de l'histoire générale de l'Homme. Le concept totalitaire est beaucoup moins important que le despotisme, la tyrannie, la dictature ou l'autoritarisme. Oh, bien sûr, penser le totalitarisme devient indispensable si on parle de la Russie, de la Chine ou de l'Allemagne. Mais ce sont des cas particuliers qui ne doivent pas être une référence universelle des politiques humaines. Les sociétés humaines ne sont pas naturellement enclines au totalitarisme, et même les expériences allemandes ou russes ont été exceptionnelles et limitées dans le temps.
Pour faire mon le Pen : le totalitarisme est, sinon un détail du XXième siècle, du moins un détail de l'Histoire Universelle.
La lecture des vicissitudes du pouvoir iranien, du pinochétisme ou du coup d'état au Honduras, des lois anti-tabac ou de HADOPI en France, est bien plus claire si l'on s'abstient d'introduire à tort et à travers le totalitarisme.
Avec ce point de vue, quand tu commences à parler de la Terreur comme racine du totalitarisme, forcément je me place sur le terrain du désaccord de pertinence. Le rapport entre Révolution Française et totalitarisme est sans objet. C'est comme si on parlait du rapport entre Auschwitz et les massacres aztèques. C'est cheap.
vu que tu fais justement partis des croyants qui soutiennent ce qui fondait la Terreur....
Disons que j'ai une grande admiration pour la Révolution Française, et à peu près le point de vue de Clemenceau : la Révolution est un bloc dont on ne peut rien distraire.