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NilLe 09/11/2015 à 10:12
Zerosquare (./141) :
- on parle d'un conflit entre gamins, pas d'une discussion rationnelle entre deux adultes. N'importe qui a des enfants, ou qui en a déjà vu, sait que répéter gentiment "non mon chéri, maman ne peut pas t'acheter 1 kg de bonbons, parce que ce n'est pas bon pour toi" marche très rarement face à un gamin qui fait une crise.
Justement, on parle d'un conflit entre gamins. Où le fait de leur demander de reformuler est une première étape vers l'empathie et la compréhension. "Non mon chéri, maman ne peut pas t'acheter un kg de bonbons, ce n'est pas bon pour toi (et on a décidé de faire autre chose avec notre argent)", c'est un message nécessaire mais insuffisant. Il faut ensuite demander s'il a compris, puis ce qu'il a compris. Et ça ne fera pas arrêter la crise dans la seconde, mais c'est un travail sur des semaines, des mois, des années.
Et c'est un travail qui ne peut se faire que s'il y a des crises, donc que si on amène les enfants dans les magasins pour leur apprendre notre façon de consommer en l'expliquant. Et ça marche (mais oui, c'est fatiguant, c'est chronophage, et il y a des moments où on se dit que piquer une méga colère serait plus facile - d'ailleurs, parfois, on le fait cheeky ).
Zerosquare (./141) :
- ça présuppose que le harcèlement est accidentel et basé sur une incompréhension. Or en pratique, la très grande majorité des harceleurs savent très bien qu'ils font souffrir leur victime: c'est justement pour ça qu'ils le font. (Ça me rappelle ce qui s'est passé dans une école américaine qui avait décidé de distribuer des bracelets "stop au harcèlement". À votre avis, qu'est-il arrivé aux rares élèves qui ont porté ces bracelets ?)
Je suis d'accord que ça ne résout pas le problème à partir de (environ) 7 ans. Mais avant, je suis persuadé que ce modèle de l'empathie par la reformulation, s'il n'est pas miraculeux, peut porter ses fruits. En passant, l'exemple donné n'est pas à propos du harcèlement, mais pour la gestion des conflits, qui résulte le plus souvent d'une incompréhension et du fait pour l'enfant de ne pas arriver à voir le problème du point de vue de l'autre (alors qu'il en a les capacités mentales, mais il n'a pas le réflexe de prendre du recul).
Pour le harcèlement - le vrai - il est difficile de charger les parents, parce que les bourreaux sont aussi bien des enfants turbulents au quotidien que des enfants ayant un comportement modèle par ailleurs (qui vont même utiliser les turbulents pour ne pas se mouiller), du coup il est difficile à détecter. Idem pour le professeur. C'est dans l'entre-deux, parce que ça arrive dans ces espaces où il n'y a justement pas d'adulte médiateur : cour de récréation, avant/après l'école...
En plus, le harcèlement n'est pas forcément violent physiquement, ni verbalement. Il peut être latent, psychologique, invisible. Dans des détails comme le fait d'isoler toujours l'autre. De le laisser sur le banc, de ne pas lui parler. Dans de petites humiliations, dans un surnom qui est prononcé de telle façon qu'on sait que c'est une insulte alors que, techniquement, ça n'en est pas une. Dans ces cas-là, quelle solution apporter ?

J'en parle parce que je l'ai vécu. La physique, la verbale, la silencieuse. Le plus dur, dans l'histoire, c'est de se dire qu'une partie du problème ne vient pas des autres, et que c'est un cercle sans fin. Parce qu'on se construit en se voulant différent de ces bourreaux, du coup cette différence est utilisée pour exclure, et ainsi de suite. Il y a aussi le problème profondément humain qui veut que toute société, à son échelle, a besoin de ses boucs émissaires. Trouver une victime, ça signifie souvent pour ceux qui commettent ces violences de ne pas être victimes elles-mêmes (parce qu'elles peuvent l'être à leur niveau, dans leurs vies, sans même en être conscientes... dans leur famille, dans leur échec scolaire, dans le regard de leurs parents, dans la fratrie...).
Quelque part, Pennac décrit très bien le rôle indispensable et nauséeux de monsieur Malaussene dans son microcosme social. Un rôle qu'il subit, mais contre lequel il ne fait rien. Où il a ses repères. Où il y trouverait même une certaine gloire : il est bouc émissaire, et il fait ça bien, avec application et professionnalisme. L'écrasement individuel porté au rang de sacerdoce.

Lutter contre le harcèlement est nécessaire. Mais terriblement compliqué. En parler, offrir des portes, des oreilles ou une reconnaissance à ceux qui le vivent est nécessaire. Forcément, ça passe par des maladresses (le clip qui va avec la campagne française est absolument ridicule ; dans un premier temps je ne voulais pas le regarder de peur d'être plongé dans de mauvais souvenirs, mais la réalité est qu'il est juste mauvais et qu'il ne décrit en rien la réalité du harcèlement... là, on dirait juste un sketch bourré de clichés).

Voilà, c'étaient mes deux centimes.