L’élève le plus emporté et qui paraît le plus intraitable est toujours démonté et vaincu par le calme du maître. Éclairons ce point par un exemple. Un désordre grave s’est produit dans la classe, une punition a été jugée nécessaire, le maître l’a infligée. Ce qui peut arriver de plus grave alors, c’est une sorte de révolte de la part de l’élève qui est l’objet de cette répression ; cette révolte se traduit par un geste malséant, par un mot peu convenable, mettons les choses au pire, par une parole injurieuse. L’enfant agit évidemment sous l’empire d’un sentiment violent, son imagination s’exalte, d’autant plus qu’il sent auprès de lui des témoins de la lutte qui s’engage et que, parmi eux, il s’en trouve un certain nombre peut-être prêts à l’admirer.
Si le maître engage la lutte avec l’enfant, le voilà dans la nécessité très grave ou de céder, ce qui compromet son autorité ou d’employer la force, ce qui compromet sa dignité. L’instituteur, maître de lui-même, songe d’abord qu’il est homme et qu’un homme ne saurait être insulté par un enfant. Il se contente donc de sourire au spectacle de cet être faible qui commet l’erreur de se croire un moment le plus fort ; il apaise d’un simple geste l’émotion qui s’était manifestée dans la classe. Il évite de parler au coupable et s'il a une observation courte à faire, c'est aux autres qu’il l’adresse, c’est sous le ridicule et presque d’un seul mot qu’il abat cette grande colère. Le petit rebelle était préparé pour le combat, son épée a frappé dans l’eau, il est désarmé, il est vaincu et tout honteux de son escapade. Dans une heure le maître peut l’appeler et lui tenir le langage de la raison ; il pourra l’écouter, il demandera pardon, il acceptera la punition […]. Le maître qui, par sa tenue, par ses gestes, par ses éclats de voix désordonnés, par ses colères constantes, vraies ou feintes, par des menaces exagérées qu’il lui est impossible de mettre à exécution apparaît ridicule et se retrouve complètement perdu aux yeux de ses élèves; il ne les dominera jamais, il ne les disciplinera pas. Arrivât-il à les battre, il ne les empêchera pas de se moquer de lui.
Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire, 1882