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Par Cécile DAUMAS
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lundi 10 mai 2004 (Liberation - 06:00 http://www.liberation.fr/page.php?Article=203848 )
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jeune cadre dans une compagnie d'assurances, Sophie, 30 ans, n'en revient toujours pas de sa naïveté. «Quand j'ai commencé à travailler il y a une dizaine d'années, je pensais que les femmes étaient solidaires, qu'elles s'entraidaient pour décrocher des postes à responsabilités. Eh bien, non ! Mes supérieures hiérarchiques n'ont jamais levé le petit doigt pour moi. Mais de quoi ont-elles donc peur ?» D'être mal vues par les hommes ? D'être soupçonnées de féminisme en nommant des femmes ? Alors que le monde du travail est inégalitaire, la solidarité féminine n'irait pas de soi.

Ingénieure à l'avenir prometteur, Carine travaille chez un équipementier automobile, un monde d'hommes. L'encadrement compte une DRH et une directrice du marketing. «Comme si j'étais sa copine, la responsable marketing s'adresse toujours à moi avec un large sourire, explique Carine. Elle ne me fait jamais une réflexion, mais en réunion, sabote toutes mes propositions en douce, remet en cause, l'air de rien, ce que je dis. Elle a plus de 50 ans, j'en ai 30, elle ne le supporte pas. Elle me voit en rivale.» Aujourd'hui, Carine préfère «travailler avec des hommes». Plus facile, plus direct, moins d'hypocrisie. Une écrasante majorité de femmes sont de son avis. Selon un sondage réalisé en novembre (1), 88 % des femmes disent préférer travailler pour un homme (contre 61 % des hommes). Seules 12 % disent banco pour une femme. Le principe de l'égalité des salaires est aussi mis à mal: 49 % des Françaises affirment qu'il est gênant qu'un homme gagne moins que sa femme, selon une étude sortie le 8 mars (2). Seuls 24 % des hommes partagent cette idée.

Conflits sous silence

Au travail, les femmes seraient-elles misogynes ? Façonné pour les hommes, le terme recouvre mal une réalité bien plus complexe que la simple «haine des femmes». Le sujet est surtout politiquement incorrect. Comment ne pas être taxé de traître à la cause féminine, ou pire, soupçonné de vouloir dédouaner les hommes ? Comment parler de violence entre femmes alors que celle infligée par les hommes, comme le harcèlement sexuel, peut être bien plus marquante ? Est-il possible de détester les femmes quand soi-même on en est une ? Toutes ces questions sont en suspens, faute d'études menées par des experts, sociologues ou psychologues. «La rivalité entre femmes en entreprise est très peu étudiée», explique Annick Houel, professeure de psychologie sociale à l'université de Lyon-III. Elle vient de lancer une recherche sur la question. Faisant appel à Freud, la chercheuse explique les conflits féminins par une résurgence inconsciente en milieu professionnel de la rivalité mère-fille. «Ce qui détermine l'attitude des femmes, c'est leur rapport à l'autorité maternelle», a-t-elle expliqué lors d'une conférence au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) en janvier. «Le rejet de la femme viendrait d'une confusion avec la mère toute-puissante de la petite enfance, la mère phallique. Dans le milieu du travail, pour échapper à la coupe de cette mère, certaines femmes peuvent être tentées de se rabattre vers le masculin.»L'hypothèse fait bondir tous ceux qui combattent le placage sauvage des principes psychanalytiques en milieu professionnel. «Le travail n'est pas la famille, rappelle la psychanalyste Lise Gaignard, spécialiste du monde du travail. Au contraire, le travail fait échapper à l'emprise de la mère, que l'on soit un homme ou une femme.»

Stéréotypes

Alors, misogynes ? «Il n'y a pas de raison que les femmes soient moins misogynes que les hommes», lance en guise d'hypothèse Pascale Molinier, psychologue du travail au Cnam. Elles vivent dans la même société que les hommes, où le masculin l'emporte sur le féminin. Elles peuvent donc reprendre à leur compte un certain nombre de préjugés sexistes. A 53 ans, Chantal allie réussite familiale et professionnelle. Mère de cinq enfants, elle a lancé son agence de communication il y a quelques années. La première personne qu'elle a embauchée ? «Un homme. J'avais cette espèce d'a priori. Pour plus de professionnalisme.» Depuis, elle travaille avec des collaboratrices mais leur reproche une petite chose, traditionnellement entendue chez les hommes : «Quand elles attendent un enfant, elles se détachent de leur travail. Avec les problèmes de fécondité, les maternités hypermédicalisées ont pris des proportions incroyables. Le travail en est désorganisé.»

Responsables de communication, comme Chantal, employées de bureau ou caissières, la majorité des femmes travaille dans des univers ultraféminisés. 60 % d'entre elles sont regroupées dans six branches professionnelles alors que l'Insee en décompte 31. Employées, infirmières, coiffeuses ou secrétaires, elles pratiquent des métiers qui reproduisent dans le monde du travail les tâches qu'elles assurent au sein de la famille. Ces métiers partagent souvent les mêmes stigmates : bas salaires, manque de considération, non-reconnaissance des compétences (lire page III). Comme si ces professions dites féminines étaient justes bonnes pour des femmes. «Quand une femme dit de ses collègues qu'elles sont toutes jalouses ou incapables, elle intègre ces stéréotypes négatifs qui courent sur les femmes dans le monde du travail», affirme Pascale Molinier.

Basses-cours

Dans les usines, il n'est pas rare de comparer les ateliers de femmes à des basses-cours. Personne ne veut y travailler, surtout pas les hommes : les tâches y sont souvent répétitives, difficiles, mal payées. Chacun y redoute conflits et mesquineries. Comment alors adhérer à un groupe regardé péjorativement ? Sociologue du travail au CNRS, Danièle Kergoat a souvent entendu des ouvrières dire : «Elles sont toutes jalouses, sauf moi.» Façon de prendre du recul avec un collectif de travail dénigré. «La domination masculine est tellement intériorisée par les femmes, souligne la chercheuse, qu'elles se minorisent elles-mêmes. Elles se renient, non en tant que femme biologique, mais en tant que genre exécré, haï et plein de défauts. Ce dénigrement de soi entraîne une souffrance infinie.»

Le complexe de la chef

Se renier en tant que femme pour mieux se couler dans un monde masculin ? Cette mécanique pourrait être à l'oeuvre dans les hautes sphères de l'entreprise. Aujourd'hui, seules 34 % des femmes sont cadres, et 17 % occupent une fonction de dirigeant (PDG, DG ou membre du directoire), selon l'Insee. Dans un milieu économique dirigé par les hommes, la plupart de ces femmes dirigeantes doivent leur ascension à des hommes. «Certaines ont toujours l'impression d'être illégitimes», souligne Danièle Linhart, sociologue, directrice de recherche au CNRS. «Comme si elles s'excusaient d'être chefs», renchérit Valérie, cadre dirigée par des femmes. A 35 ans, responsable marketing dans une entreprise parisienne, elle a récemment fait les frais d'une querelle très violente avec une supérieure hiérarchique. «Elle m'a insultée, a reproché mon manque de travail et d'investissement. Pour elle, quelqu'un qui part à 18 heures est désinvesti. Elle est dans le sacrifice de son temps et de sa vie privée. Elle ne comprend pas que les autres femmes ne le soient pas.» Conflit de génération entre les 30-50 ans ? «Les cadres de 50 ans ont dû batailler ferme pour conquérir leur place, explique Danièle Linhart. Elles ont fait tellement de sacrifices qu'elles pensent que la nouvelle génération de femmes n'y arrivera pas. Elles ne leur font pas confiance car, tôt ou tard, elles savent que se posera la question des enfants.» Ainsi, à la tête de son agence de communication, Chantal en est persuadée : «Toutes les femmes ne sont pas capables d'assumer enfants et postes à responsabilités», explique-t-elle. Elle, oui. «J'y suis parvenue car j'ai une très bonne santé physique et morale.» Comme certains hommes, elle soupçonne les femmes de ne jamais s'investir complètement dans leur travail.

Un pouvoir tout neuf

Les femmes sont-elles donc leurs meilleures ennemies ? Pas forcément. Le pouvoir au féminin est encore neuf en entreprise, ni vraiment normalisé ni vraiment accepté par les hommes et.. par les femmes. Les premières promotions féminines sont sorties des écoles de commerce il y a seulement trente ans. Comment alors se comporter quand on est femme et à responsabilités ? Pour gagner en confiance et en légitimité, certaines jouent la carte féminine, au risque de devenir «supermaman». D'autres privilégient le masculin, préférant s'entourer d'hommes. Elles reproduisent alors les stéréotypes, estimant que travailler avec un homme, c'est «moins d'emmerdements». Et oublieraient au passage de nommer d'autres femmes à des postes de responsabilités ­ alors que les hommes pratiquent l'art de la cooptation depuis des siècles. Un frein à l'égalité professionnelle ? «Pour elles, la compréhension envers les femmes est dangereuse», estime la sociologue Danièle Linhart. Cette absence de solidarité féminine contribuerait au non-avancement des femmes, estiment certains sociologues. Rester donc du côté du plus fort, ne pas «raviver la guerre entre les sexes», dit cette chef d'entreprise. «Le monde du travail est toujours terriblement conventionnel, conclut Pascale Molinier. Si une femme est autoritaire comme un homme, on dit que ce n'est pas une femme. Si elle est douce et agréable, on dit qu'elle ne sait pas diriger.» Visiblement, 88 % des femmes le pensent encore.

(1) Sondage Monster réalisé en octobre 2003 auprès des utilisateurs du site Internet. 729 femmes y ont répondu.
(2) Sondage réalisé par l'Ifop pour la Fédération bancaire française.

Qu'en pensez vous ?
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Webmaster du site Ti-FRv3 (et aussi de DevLynx)
Si moins de monde enculait le système, alors celui ci aurait plus de mal à nous sortir de si grosses merdes !
"L'erreur humaine est humaine"©Nil (2006) // topics/6238-moved-jamais-jaurais-pense-faire-ca

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J'en pense que c'est pas un scoop mais que c'est toujours intéressant d'avoir quelques chiffres à l'appui...
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« Le bonheur, c'est une carte de bibliothèque ! » — The gostak distims the doshes.
Membrane fondatrice de la confrérie des artistes flous.
L'univers est-il un dodécaèdre de Poincaré ?
(``·\ powaaaaaaaaa ! #love#

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J'en pense que c'est un gros paté qui va attendre que je sois au taff pour le lire à tête reposée smile.
Mais le sujet est sensible auprès des féministes convaicues.
Il voulait écouter de la musique, mais celle de la lune lui suffisait. S’il avait pu, il aurait arrêté de respirer pour éviter de défaire cette journée, pour protéger ce qu’il avait vécu. C’est ainsi que la nuit le prit dans ses bras, lui accoudé à la fenêtre et elle l’enlaçant de son obscurité.

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ça vaut le coup de tout lire !
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Si moins de monde enculait le système, alors celui ci aurait plus de mal à nous sortir de si grosses merdes !
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Karadoc :
J'en pense que c'est un gros paté qui va attendre que je sois au taff pour le lire à tête reposée smile.
Mais le sujet est sensible auprès des féministes convaicues.

ce sont les plus mysogines...
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Si moins de monde enculait le système, alors celui ci aurait plus de mal à nous sortir de si grosses merdes !
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Pour une femme, dire qu'il est génant pour un homme d'avoir un salaire plus petit que sa femme peut être féministe ("connards d'hommes de penser ça triso"
C'est moi Arnsy. BONJOUR.