Hippopotame Le 30/04/2005 à 20:17Edité par Hippopotame le 30/04/2005 à 20:36 Un saut conceptuel : de la pensée unique à la pensée zéro
Les groupes et catégories qui acceptent la pensée unique ne sont pas, "à l'ancienne", les bourgeois et le capital. Une approche plus fine de la structure sociale et des structures socio-professionnelles est nécessaire à qui veut saisir son action sur les esprits. Le terme action est d'ailleurs exagérément dynamique. Une fois contatées les incompatibilités mutuelles entre les diverses pensées uniques nationales, après avoir analysé l'incohérence conceptuelle de la variante française, nous devons admettre qu'il n'y a pas grand chose d'actif dans la pensée unique : vénération de l'argent, affirmation de la tolérance, rejet de la nation. Mais pouvons nous réellement identifier en la vénération de l'argent une pensée positive? L'amour de l'or en général est typique de celui qui n'a rien à aimer en particulier ; il offre la possibilité d'une accumulation inutile, une mise en scène du vide. Quant à la tolérance, a-t-elle vraiment un contenu? Le penseur unique de gauche défendra certes les "sans-papiers", mais il trouvera le plus souvent admirable le projet de fusion avec l'Allemagne, dont le droit du sang dénie aux enfants d'immigrés la possibilité d'appartenir à la communauté nationale. La contradiction révèle le vide en termes de valeurs positives. Il ne s'agit pas d'aimer et d'aider les immigrés mais de nier l'existence de la France et de sa frontière. Nous retombons sur le troisième terme du dénominateur commun à toutes les pensées uniques : la nation n'existe plus. Quelle importance alors à ce que l'Allemagne n'octroie pas une citoyenneté devenue illusoire? Mais quoi de plus négatif que cette glorification du néant, cette croyance en l'inexistence de la collectivité humaine la plus évidente et la plus banale, cet hexagone, ces Français dont nous parlons la langue et dont nous partageons le système de sécurité sociale? A ce stade, si nous voulons comprendre et expliquer, un saut conceptuel est nécessaire. Nous devons accepter l'évidence : il n'y a RIEN dans la pensée unique, qui est en réalité une non-pensée, ou une pensée zéro.
Cette pensée zéro se contente de hurler l'inévitabilité de ce qui est ou de ce qui advient. Aux Etats-Unis, elle clame l'inéluctabilité de l'ultralibéralisme. En France, celle de la monnaie unique et du libre-échange. Elle est Pangloss dans le Candide de Voltaire ; tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Ni le catholicisme, ni le protestantisme, ni le radical-socialisme, ni le gaullisme, ni le bolchevisme, ni le fascisme, ni même le libéralisme du XIXième siècle n'avaent osé proposé au monde une pareille frénésie panglossienne d'acceptation de tout ce qui arrive. Le trait central et unificateur de la pensée zéro est une glorification de l'impuissance, une célébration active de la passivité que l'on doit désigner par un terme spécifique : le passivisme.
Et ce qui perce sous l'antinationisme, c'est la cause du passivisme : la rupture du groupe et des croyances collectives qui le solidifiaient. Si une communauté humaine n'existe pas, aucune action collective n'est par définition possible, et tout ce qui arrive ne peut qu'être accepté. Le noyau mou de la pensée zéro, c'est l'implosion de l'individu qui résulte de l'implosion du groupe. Une fois posée cette hypothèse simple et radicale, nous sommes conceptuellement armés pour comprendre l'impuissance des "contradicteurs de la pensée unique" qui n'ont à vrai dire rien à contredire qui ait une substance. Aucune doctrine à réfuter, aucune croyance solide à combattre. Même la monnaie unique, à l'origine projet positif quoique mal pensé, n'apparaît plus à la veille de sa réalisation que comme un "machin qui arrive", qu'on ne peut empêcher, qu'on accepte sans même croire au moindre de ses avantages économiques. On s'y soumet désormais, comme au libre-échange, par passivisme. Munis de cette nouvelle hypothèse nous pouvons enfin expliquer la liquidation successive de tous les acteurs politiques, individus réduits à un infiniment petit social par la disparition des croyances collectives, acceptant leur impuissance, et pour cette raison catalogués les uns après les autres comme "se ralliant à la pensée unique", alors qu'ils ne peuvent nullement adhérer à une pensée qui n'a jamais eu de contenu. En France, le seul message délivré par les lieux et noeuds de pouvoir - le ministère des Finances, la présidence de la République, Matignon, la droite, le Parti Socialiste et le journal Le Monde - est que ce qui existe, existe, ce qu'il est difficile de na pas admettre, et que l'on n'y peut rien, ce qui est absolument vrai si on part de l'axiome que la France n'existe pas.
(Emmanuel Todd)
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