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« 14 juillet 1989, j’écoute la marseillaise d’albert ayler. La fête dehors bat son plein. Par ma fenêtre, je vois les fusées tricolores qui zigzaguent dans la nuit. C’est ridicule. La France est lamentable. Je monte le son.
(…)
Ayler a tout mis dans la marseillaise. Toutes les étapes de la vie, pas seulement le grave moment des mobilisations ou des armistices. Ca devient une prière biblique à l’univers qui hurle ses milles douleurs. Ca devient un murmure d’amoureux qui n’en peut plus. Ca devient la peur d’un enfant dans son lit. Ca devient l’exhibitionisme d’un loup garou enragé. Ca devient le meurtre d’un noir américain ravi de mourir.
(…)
Il choisissait les thèmes creux de l’ordre établi et les remplissait du désordre épais de l’anarchie pure.
Ca dépassait la politique, ça passait devant l’art sans le regarder et ça atteignait la religion. La fausse positivité de la marseillaise et des autres airs bébêtes était saccagée par une négativité, toute aussi fausse, qui chargeait, surchargeait l’idée même de la musique jusqu’à ce qu’elle s’écroule. En écoutant albert ayler, dans mon gilet en laine au crochet, tricoté par ma ma grand mère turque, j’avais l’impression de me trouver debout sur une montagne de décombres, les ruines de toute la musique occidentale encore fumantes, un étendart sanglant à la main.
(….)
Ca commence toujours lentement…La fanfare des ayler se met en place…Vous avez le frére à la trompette qui jouvine bien en évidence, et puis albert autour qui tourne par cercles amples…ils annoncent le malheur…Ils tiennent des notes qui ne le méritent pas. Ils dramatisent des petits riens. La rythmique au fond monte la garde tout doucement. Si c’est Milford Graves à la batterie, on entend les sabots d’un cheval qui se casse la gueule et se relève sans cesse. Si c’est Sunny Muray, une caresse incessante de cymbales se fond avec la plainte déchirante de son chant de batteur fantomatique. Ca monte, ça descend….ça fluctue…ayler déploie sa sonorité, il élargit le thème, écarte ses limites de rengaine riquiqui…son vibrato se fait plus énorme….Une chèvre en chaleur…il décompose les deux accords majeurs…le frére est imperturbable…Déjà le violon du jeune hollandais, à moitié faux, écorche des contrepoints de tzigane ivre…
Le batteur s’énerve un peu comme un boxeur qui s’échauffe. Albert hurle une ou deux fois, et puis c’est l’appel, la sonnerie de la brigade ringarde…La marseillaise se pointe…Bien grasse, bien rudimentaire, comme si personne ne l’avais jouée au monde. Le trompettiste l’expose à la mexicaine (chaque note rapproche Donald de son internement) et Albert derrière rajoute des ornements d’un craignos phénoménal. Avec une insoutenable volupté, il étire des codas sans fin à l’intérieur du morceau. Comme s’il voulait tout mettre, comme si tout son art devait solennellement s’achever ici. La mayonnaise s’épaissit. Les cymbales s’en donne à cœur joie.
Le violon joue les romantiques. Albert retient ce beau monde. Pas de panique ! On a tout le temps. Déployons encore, amplifions toujours l’espace des ondes de sons qui se croisent au ralenti.
On dirait quand même qu’Albert pleure. Puis se ressaisit Les autres l’aident aussi. Comme s’il n’arrivait pas à marcher… L’orchestre a du mal à avancer. Ils tombent tous de sommeil. Chacun soutient l’autre dans cet équilibre périlleux des forces qui se contiennent. La musique se dépêtre lentement d’une boue qui ne peut être que celle du silence.
(…)
Epanouissement floral. Arabesques. Négresques. L’ampleur de la mort qui se développe. Un suspense d’outre tombe. Nous sommes dans l’imminence d’une catastrophe. On baigne dans le mauvais présage.
Albert se fout des harmonies. Il décortique de sempiternelle quartes majeures. Ca lui suffit. Une attaque de langue précise et sensuelle sur une anche en plastique. Un growl catastrophique, et le tour est joué. Puis, soudain, ça s’accélère. Ils reprennent en chœur l’hymne massacré. Ils le libérent, il court, s’emballe, s’envole. Tout le monde passe à l’aigu. Le frère d’abord qui tourbillonne comme une mouche ou un bourdon défoncé. A toute vitesse !
Dans un seul ton ! Et ça monte ! Ca monte ! Le batteur se déchaîne ! Sa caisse claire fait des bruits de raps d’une table tournante et ses cymbales sonnent comme les chaînes agitées de plusieurs fantômes. Il frappe à la porte de tous les tombeaux pour qu’on lui ouvre. Il en fait sourdre des lamentes de spectres. Le violoniste exacerbe son crincrin. Les contrebasses rentre dedans. C’est une musique de tapage nocturne.
Mais albert rassemble déjà le désordre. C’est lui qui dirige le brouhaha en folie. Les types se calment. Les porcs à la torture sont soignés.
L’orchestre revient à la charge. Le vieux thème usé sert de ralliement. Ils reprennent bien lourdement, puis brusquement ça se réaccélère. Une nouvelle poussé de fièvre ! l’envolé est encore plus violente que la première fois. C’est au tour d’Ayler de partir tout seul dans le délire aigu. Convulsions épileptique d’un cobra. Il déchire les notes, il égorge les sons ! Il heurte le grand art ! Son saxophone déborde. Les vibrations sont effrayantes. Les autres sont happés par la démence du ténor et tous partent en croisade pour la terre sainte du paroxysme. Mais, quand ils arrivent, le paroxysme a explosé ! Ils redescendent, dédolés… Chacun reprend l’ample cours de son destin. La grosse caisse tousse. Ayler découpe des dentelles de canards. Il brode des grincements. Supplications de suppôts en supplications. Chiens qui hurlent à la mort. C’est le néant. Le néant ça fait du bruit. Voilà les bruits du néant ! Grêles et aigres…l’heure est à la délicatesse. L’orchestre fait des allusions rappelle la marseillaise, mais le cœur n’y est plus. C’a déjà joui.
Un souffle lugubre court sur les esprits. Les musiciens retombent en enfance. On entend plus que des gémissements enfantins. Des gosses qui rangent leurs jouets cassés. Ils les retapent en chialant. Albert développe des volutes candides. Son frère allonge des notes K.O. Le batteur sculpte de drôles de formes. Les cordes s’étirent comme des fauves après le repas. Cette musique ne finit jamais. Elle s’incline. Elle se recueille. La mayonnaise c’est liquéfiée. Ca coule partout. Fluide, fuyante, fignolée, elle disparaît sans que l’orchestre s’en aperçoive…officiellement, il aimerait conclure, mais la mort s’effiloche. Rien ne peut être comparé à cette finesse finale. La subtilité de la respiration donne envie de dormir. On se laisse bercer par cette comptine grandiose, dans les bras du Saint-Esprit.

On ne peut comprendre. C’est tellement noir ! Ca vient de tellement loin, d’un loin tellement noir !.. Des transes et des lynchages.. des extases de gospels en furie…des groupes de fous priant dieu en transpirant. .tout un tas de trucs qui ne nous bout pas dans les veines.
(…)
Ayler savait très bien qu’il jouait une musique plus vielle que lui. Elle charriait tous les fantômes de ces nègres fidèles qui entraient en transes dans des églises bondées.
Musique d’église qui prend feu. Musique des ténèbres de la lumière. Musique de culte hystérique à la façon des foules de mères et d’enfants possédés par le saint-esprit. (…) »

marc edouard nabe

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C'était la peine de poster dans tous les autres topics ? confus

edit: je déplace ce qui a été posté ailleurs ici...
extrait 1

Je suis mort :

A l'instant, je viens de me tirer une balle dans la tête. Il y a trop longtemps que j'en avais envie, et puis un jour j'en ai eu besoin.
A l'Armurerie de la gare de l'Est, le revolver 22 long rifle Uberti à six coups avec crosse de bois est le seul qu'on peut acheter sans port d'armes : 2 400 francs + 40 francs la boîte de 50 balles CCI Stinger 5/5 mm.
J'ai rapporté le lourd, long et froid objet chez moi. Je l'ai caché dans un tiroir de mon bureau. Le lendemain, je l'ai sorti : c'était le colt de cow-boy dont je rêvais quand j'étais enfant à Marseille. Se tuer, c'est rejoindre un moment précis de son enfance.
J'ai ouvert le barillet et placé le petit suppositoire doré dans le seul trou libre (les cinq autres sont bouchés). Clak ! J'ai armé le chien et je me suis couché sur mon lit en bambou. J'ai placé l'extrémité du canon juste au-dessus de ma tempe droite, un peu en biais vers le haut du crâne (pas dans la bouche, ça fait fellation...). Et j'ai appuyé sur la détente.

L'armurier m'avait prévenu : « Attention, elle est très sensible... — Pas autant que moi ! »
D'abord, l'explosion on ne l'entend pas. Et le noir est bleu pâle. Immédiatement, je me suis senti bien, et même mieux. Je me suis tué pour tuer dans ma tête l'idée de me tuer qui y dansait.

Une clé ! C'est « elle » avec « lui ». Ils rentrent du square des Absences où il y a le grand toboggan rouge. Mon fils me découvre dans la chambre : il est déguisé en Zorro aujourd'hui. Il soulève juste son loup noir pour mieux voir. Il a encore son épée en plastique à la main. Mon fils me regarde gravement de ses deux yeux noisette. Son beau visage d'empereur enfant a la même expression qu'au sortir du bloc opératoire où on lui ôta les amygdales. Cette fois, c'est son père qu'on lui a ôté. Ça va lui dégager encore plus la gorge.
Zorro reste immobile, il ne pleure pas. Il dit seulement : « Maman. » Personne ne saura jamais s'il appelle sa mère ou bien si c'est moi qu'il appelle maman comme ça lui arrivait quelquefois quand je m'en occupais comme une mère.
La voilà ! La Sainte, celle qui a tant souffert. Juste un petit silence, pointu comme un cri. Je me souviens, dernièrement, elle me disait : « Je ne sais pas si tu vas bien ou si tu vas mal. » Maintenant, elle sait.
L'oreiller n'est pas beau à voir. C'est une éponge gonflée de vin. Ma cervelle a éclaté jusque sur les rayonnages de la bibliothèque. Tout le sommet de ma caboche a été soufflé dans un carnage crânien. Je continue à me parler à moi-même tout en sachant que je suis mort.
C'est si facile de se suicider. Dire que j'ai attendu trente-sept ans pour me débarrasser de mon existence ! C'est comme un chevalier qui en a marre de combattre : il enlève son armure cabossée, et elle s'effondre dans un bon bruit de ferraille inutile.

Ma femme est partie au salon téléphoner : elle a la voix noire. Mon fils est auprès d'elle. Je suis seul sur mon lit de mort. Bientôt, un barouf terrible par la porte. C'est les pompiers ! Drôle d'idée d'appeler les pompiers pour un suicide. Ils sont quatre. Mes lunettes rondes ont été brisées par le coup de feu (les éclats de verre se sont encastrés dans ma tête) mais — chose curieuse — je vois tout et de tous les points de vue...
Ça s'agite. Un des pompiers fait la grimace. Un autre, sur son portable, appelle le Samu. « Sauver ou Périr », c'est la devise que je lis sur leur écusson. Quelques secondes, ou une heure après, le médecin entre dans la chambre avec ses deux infirmiers. Il me ressemble. En un clin d'oeil, le médecin constate ma lividité. Un pompier a entraîné mon fils dans sa chambre, là où il entasse ses panoplies : de pirate, de mousquetaire, de Peau-Rouge et même de pompier ! Je crois que je n'ai jamais vu mon fils pas déguisé..........

marc edouard nabe
extrait 2
Le régal des vermines



...Certains m'ont dit que j'étais allé si loin dans l'extrême gauche que je me retrouvais dans l'extrême droite! C'est faux : je ne suis pas un gauchiste d'extrême droite comme le sont devenus les anciens soixante-huitistes déçus du maoïsme lorsqu'ils ont regagné une bourgeoisie de race. Moi, je n'ai jamais été gauchiste, car je suis né dans le communisme, et pas le communisme bourgeois, je vous prie de le croire! J'ai simplement suivi mon tempérament aristocratique, mon individualisme forcené, fascisant si vous y tenez, en lâchant derrière moi toute la naïveté sinistre de la gauche et l'esthétique retardataire de la vieille droite. Ce qui amène la droite, c'est la peur du communisme, et je dois être un des rares à ne pas craindre le communisme.

Je ne suis entré dans aucune danse politique, même de loin, même par la voie sournoise du repentir, de l'« erreur »... Je ne me suis pas donné l'occasion d'avoir un passé : je méprise tous ceux qui ont marché, à un moment ou à un autre, dans une idéologie. Je n'admire que les mystiques. Je suis d'extrême Sade, voilà ce que je suis. Le marquis est pour moi l'idéal politique. Celui qui a eu la vraie « vision ». Moi, je ne suis qu'un affreux provocateur inadmissible, jouant sur la friction des degrés...

Je suis un homme d'affaires du lyrisme. Ni sceptique, ni partisan, ni porte-parole, ni hors-la-loi, mais sans loi, frondeur si vous voulez, tendancieux au-dessus de tout soupçon, récupérable par tous et par personne. J'essaie de me définir, au milieu de mes cent mille contradictions. C'est le plus difficile. J'ai été aidé par les jugements d'autrui. Politiquement, pour savoir ce qu'on est, il faut écouter ce qu'on dit de vous...

Ce qu'on dit de moi ?

Que je suis un fasciste d'extrême gauche, un anarchiste d'extrême droite, un communiste nazi, un gauchiste monar­chiste...

Ce ne sont pas mes idées qui me définissent, mais ma façon de me comporter. C'est ça le discours politique. Ce qu'on retient finalement, c'est votre personnalité. C'est votre nature qu'on juge de gauche, de droite, du centre, du dehors... Ceux qui ont été communistes et ne le sont plus ne l'ont jamais été. Moi, je suis un communiste de naissance. J'ai été complètement éduqué à la communiste, par de sinistres regards bleu glacier dans une École d'application communiste, avec tous les maîtres au Parti. Personne comme moi pour être de gauche ; vraiment. Pourri de socialisme, au moment de Cuba, en pleine apologie chinoise jusqu'à la moelle depuis toute l'enfance. Je prends n'importe qui sous le drapeau. Qui s'aligne ?

Fan ! Si mes maîtres voyaient maintenant l'affreux antipolitique crachant sur tout ce qui est social, le monstre détaché que je suis devenu ! Moi, petit garçon si rouge doué ! J'ai gâché une bien belle espérance... Je ne suis pas un de ces artistes engagés, amenés aux révolutions par une promotion du raisonnement, dont les divers revirements témoignent de leurs nobles faiblesses et stimulent la bonne conscience d'un trajet suspect. La politique, je ne sais même pas ce que c'est. On n'a pas besoin de venir au socialisme quand on l'a appris à l'école maternelle : à l'âge où les autres découvrent le « Socialisme », on sait que ça ne sert à rien ; et à celui où ils retournent leur veste en parlant de la « Gauche » qui est plus lourde que la « Droite » (comme s'il s'agissait de couilles), on est déjà mort à toute politique, décomposé au moindre conflit si puéril.

L'École renierait son « Bout-d'Zan » ! J'ai oublié toute l'histoire russe, les contes chinois, le portrait de Kart Marx dans le préau, qu'on n'a pas pris longtemps pour le Père Noël, et surtout les ignobles poèmes d'Eluard et d'Aragon qu'on nous faisait réciter par coeur. Tout ce qui m'est resté, c'est une haine farouche pour l'anticommunisme des bourgeois ricaneurs, et si tout ouvrier me donne envie de vomir, je n'en voue pas moins une aversion définitive pour le grand cortège idéologique de la droite. Ma caractéristique, c'est qu'on prend souvent ma tendance de gauche pour un anarchisme de droite. Parce que je n'ai pas cette dialectique « tergal-triste » du communiste qui s'apitoie toute la journée sur l'ouvrier bordé de nouilles patronales, qui va au boulot tous les matins avec sa gamelle (douze frites et un oeuf et demi), comme s'il partait en campagne faire les vingt-huit jours ! Moi, je n'ai pas attendu les « Nouveaux Philosophes » et Yves Montand pour découvrir les goulags ! Le Fascisme, c'était forcément la Liberté, puisque l'École était communiste !

Déjà, sortir fils unique, marseillais et capricorne, c'est énorme comme handicap : mais communiste en plus ! C'est trop ! C'est le Canard ! Le Pompon ! Les Timbales !
marc edouard nabe
extrait 3

Zigzags :

BARON MINGUS

Quand vous êtes à deux mètres de Charles Mingus, vous avez l'impression d'être sous un arbre, votre shantung s'obscurcit : c'est l'ombre du baobab. Je l'ai bien regardé. J'ai bien vu son regard sous les franges, je lui ai bien trié le chanfrein et j'y ai découvert une bonté incommensurable. Son visage respirait une telle générosité, et sa détresse, que nous avons vu empirer en deux ans, assombrissait si peu la splendeur de son expression, qu'on avait envie un peu ridiculement de bercer ce gabarit énorme. Physiquement, il m'a toujours fait penser à Orson Welles... J'avancerai volontiers qu'ils ont Shake­speare en commun. En fait, vous aviez devant vous un homme énorme de 2 500 kg à 3 000 kg, un poignant pachydermien dont personne n'aurait voulu recevoir un coup de poing dans la gueule, pas plus qu'un sourire...

Une fois vue, personne ne peut ôter de ses propres hanches la démarche de Mingus, ce mal de mer hippopotamique. Un gros cargo de bestiaux qui arrive péniblement au port : il s'était avancé vers le piano pour faire le boeuf avec Milt et Dizzy. Une autre fois, je l'ai vu, monté par un treuil de types sur la scène, les bras pleins de cannes et de partoches. Ou alors il traversait les jardins, enjambant les merguez, accoudé à son batteur de vieillesse. Ou encore enlacé à sa basse, poussant des rugissements et son groupe vers des cascades de muons, des effluves de fluides, des grandes collisions de bursts gerbés. Ou encore assis sur 6 chaises, déposé ainsi comme une vieille cargaison enfumée par un cigare... C'était quelques mois avant qu'on le retrouve sur les magazines à la Maison-Blanche, pleurant comme une vache, sur son fauteuil roulant à cet hommage in extremis, pathétique accolade impossible d'un président à un nègre dont le…
marc edouard nabe
extrait 4

L'âme de Billie Holiday :



Eleonora Holiday est donc née un beau jour, un peu avant de mourir. Sa vie elle l'a racontée elle-même à la magistrale. Son enfance pour Vallès, les goitres et les torgnoles de la cousine Ida, la douceur de sa grand-mère morte dans ses bras pas encore troués : c'est « Noire à Crédit »! Miss Vingtras! Twentytras! Pourquoi retouiller de telles crèmes? Pour faire monter les friands des « Sans Famille », les blancs bien enfoncés dans leur Roche-Bobois, suintant de virilité aux péripéties misérabiliennes de la petite Eleonora de Baltimore...

Baltimore! La ville d'Edgar Allan Poe! L'aimant nocif de ces incessantes navettes... Baltimore où le capricorne yankee, ruisselant de whisky vint exploser en pleine rue, 66 ans avant la naissance de Léonore Holiday qu'il sacra prémonitoirement dans un poème célèbre fumant de vapeur... Léonore, la fée fermentée gisant sur la morne et rigide bière des jazz d'aujourd'hui! Léonore psalmo­diée par Poe, deux fois morte parce que morte si jeune! Sweet Lenore qui plane sur la terre maudite! Peccavi­mus! Let no bell toll! Arrière! Ce soir j'ai le coeur léger. Dans ce livre, je n'entonnerai de chant mortuaire, mais soutiendrai, dans son vol, l'orgueil et le génie de Lady Day! Que son âme suave, dans l'allégresse, en saisisse la note !

* **

Vous attendez le roman ? Il viendra pas.

Pas de « vie ». Pas de viols, pas de droguerie, pas de misère, pas d'hôpital, pas de prostitution, pas de racisme, pas de police... De la musique, rien que de la musique, des flots de musique, un bassin de musique avec, au fond, coulée depuis que tout le monde l'a lue : son autobiographie.

Son chant est l'oubli et la mémoire simultanés de tout ce qu'elle a souffert.
marc edouard nabe
extrait 5

Non :

VISIONS DE L'IDIOT

Qu'est-ce qu'un idiot ? C'est quelqu'un qui écrit ce que tous les autres pensent. Comme disait Gertrude Stein : « Ces choses-là, vous les avez peut-être pensées, mais moi je les ai écrites. » Ça n'a l'air de rien de coucher sur le papier toutes les vérités soi-disant contradictoires qui animent l'idiotie de notre temps, mais tout est là, dans ce bascule-ment. Ecrire ce qu'on pense demande une ivre audace qui ne peut être comparée qu'à celle qu'exige le geste d'embrasser une femme. Il ne faudrait vivre que pour ces moments-là : où tout bascule.

L'Idiot est là pour que s'expriment à travers lui toutes les pensées, mais il est là aussi pour recevoir tous les horions, tous les soufflets, tous les crachats et les transfigurer dans sa propre voix. Un peu comme Albert Ayler qui n'avait rien trouvé de mieux, pour exprimer la paix du ciel, que de nourrir son chant de tous les cris horribles du monde. Il faut frapper très fort et descendre très bas, si l'on veut remonter très vite et très haut.

L'Idiot est christique, on l'a compris. Il est sur la croix, et il insulte encore le pouvoir. L'injure est une des langues de l'Idiot. Elle n'est pas la seule, mais elle doit être.

Ceux qui trouvent qu'il est inutile d'attaquer les individus insignifiants qui, en groupe, forment si bien cette masse gluante et abstraite qu'on appelle le Pouvoir sont des lâches ou des bienveillants (c'est pareil).

Les marchands du Temple aussi étaient sans intérêt particulier (qui peut donner le nom d'un marchand du Temple ?) mais le Christ les a chassés quand même, et violemment. L'important n'est pas dans les marchands mais dans l'acte de les chasser.

Synonymes de l'Idiot : Fou, paria, kamikaze, Don Quichotte, mystique, blasphémateur, scatologue, Christ, bouc-émissaire, artiste maudit, naïf.

Un Idiot serre toujours la main d'un autre idiot. Finie la dispersion des forces, les misérables détails idéologiques, les individualismes superstitieux ! La troupe est à la guerre ! L'heure n'est plus à la chambrée ! La tranchée est pleine. On tiendra, parce qu'on est tous d'accord sur une chose : aucun pouvoir n'a été plus vomissable que celui d'aujourd'hui : le Pouvoir des Tièdes !

On veut marginaliser l'Idiot, mais l'Idiot n'est pas marginal. Il est dans la légitimité de sa folie. Ce sont les autres les marginaux, les exclus de l'absolu, les hors-la-foi... Reconnaître une marge c'est encore accepter des corrections.

L'Idiot rit et on croit qu'il montre les dents. L'Idiot n'a pas de ligne, il les a toutes. L'Idiot court en zigzags dans la vermine. L'Idiot a quatre vitesses (l'enthousiasme, l'insulte, la vision, la prière) plus la marche arrière ! L'Idiot ne lit plus que les dernières oeuvres exégétiques de Paul Claudel.

L'Idiot sait que la beauté (un accord de Monk) sauvera le monde. L'Idiot ne lit pas forcément L'Idiot mais il comprend ce que signifie son irruption en 1989, l'année de tous les écroulements et de toutes les espérances....
nabe

Je ne sais pas où le posteur veut en venir (fan ? pub ?) mais pour référence : http://fr.wikipedia.org/wiki/Marc-%C3%89douard_Nabe
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Que cache le pays des Dieux ? - Forum Ghibli - Forum Littéraire

La fin d'un monde souillé est venue. L'oiseau blanc plane dans le ciel annonçant le début d'une longue ère de purification. Détachons-nous à jamais de notre vie dans ce monde de souffrance. Ô toi l'oiseau blanc, l'être vêtu de bleu, guide nous vers ce monde de pureté. - Sutra originel dork.