Ce jour-là, dans la petite ville de Blue Bell, au coeur de la Pennsylvanie, le quartier général républicain de campagne était en ébullition. Meghan McCain avait annoncé sa venue et les militants frissonnaient d'excitation en placardant d'immenses posters de bienvenue. La jeune femme arriva à l'heure, le cou orné d'un bijou à l'effigie d'Abraham Lincoln. Elle posa avec chacun, remercia les bénévoles, dédicaça son livre Mon père, John McCain ; puis, après avoir évoqué Carla Bruni - "Je l'adoooore" -, accepta de nous parler du rôle des femmes dans la campagne électorale.
"Je trouve historique et même fabuleux le fait que deux femmes aient joué un rôle si prééminent, dit-elle. Il y a eu Hillary Clinton à qui je suis reconnaissante, en tant que femme, de s'être hissée à un tel niveau d'ambition et de responsabilité. Il y a maintenant Sarah Palin : un mari, cinq enfants, une carrière, du charme, de l'énergie ! La preuve qu'on peut tout avoir en même temps. Un vrai modèle de féministe !" Pardon ? "Ce n'est pas parce qu'on est républicaine qu'on n'a pas le droit d'être féministe ! Elle l'est, je le suis, je revendique ce titre."
Le mot était donc lancé, repris par la presse conservatrice, New York Post en tête, qui qualifiait Sarah Palin de "rêve de féministe". Consternation, voire indignation, dans les rangs féministes traditionnels. "On croit rêver, dira Patt Morrison, chroniqueuse au Los Angeles Times. Les républicains découvrent sexisme et féminisme ! Ils niaient l'existence du premier quand nous dénoncions ses ravages sur Hillary Clinton, mais les voilà qui hurlent dès qu'on critique l'incompétence de Palin ; ils abhorraient le second comme un mouvement de gauchistes frustrées ou hystériques et voilà qu'ils font de leur candidate la féministe idéale ! C'est à la fois drôle et révoltant !"
ENNEMIE DE L'AVORTEMENT
Drôle parce que la virevolte s'est faite en vingt-quatre heures, lors de la convention républicaine du début septembre annonçant le choix d'une vice-présidente. Révoltant, expliquait encore Patt Morrison, parce que la gouverneure de l'Alaska, membre de l'organisation Feminists for Life, ennemie irréductible de l'avortement, défend un programme et des valeurs à l'opposé de ce que réclament les mouvements féministes.
"Le fait que Palin soit une maman jonglant entre son travail et ses responsabilités familiales a forcément touché les femmes, concède Latifa Lylel, vice-présidente de NOW (National Organization for Women), la principale organisation féministe qui, contrairement à sa tradition, et en liaison avec plusieurs autres associations de femmes, s'est déterminée pour Barack Obama. Et d'ajouter : "Mais le passé et les discours de Sarah Palin montrent qu'elle ne fera en rien progresser les autres femmes. Au contraire ! Elle soutient les positions les plus misogynes de son patron, contre l'égalité de salaires, contre l'avortement (même en cas de viol ou d'inceste), contre l'éducation sexuelle, le contrôle des naissances, etc. Nous avons longtemps pensé que ces discours étaient typiques d'une petite clique d'hommes blancs au pouvoir. Quelle tristesse de découvrir qu'une femme peut les relayer avec autant d'aplomb."
Sarah Palin en a pourtant troublé certaines, heureuses du courant d'air frais provoqué par le débarquement inattendu de cette mère de famille sexy et populaire, amatrice de pêche et de chasse au caribou, dans le grand Barnum électoral. Ravies qu'une femme, autre que l'épouse d'un candidat, figure dans le paysage politique. Parmi elles, Shelly Mandell, la présidente de la section locale de NOW à Los Angeles, qui s'est exclamée : "Voici à quoi ressemble une féministe !", lors d'un meeting de Sarah Palin et en se présentant elle-même comme une vieille militante de la cause des femmes. Mal lui en a pris. Condamnations indignées, désaveux, communiqués rageurs se sont succédé. Et il n'est pas une organisation féministe qui, depuis les quelques interventions de la colistière républicaine à la télévision, ait eu envie de lui apporter un soutien.
"Palin ne partage rien d'autre qu'un chromosome avec Clinton", écrivait, le 4 septembre dans le Los AngelesTimes, Gloria Steinem, flamboyante et mythique chef de file des féministes. Se rallier au ticket républicain pour protester contre l'exclusion d'Hillary Clinton reviendrait à dire : "Quelqu'un a volé mes chaussures, je dois donc me faire amputer."
Tout de même, plaident quelques kamikazes. Ces remarques sur le physique de bimbo de la colistière de John McCain, ces interrogations machistes sur sa capacité à assurer une charge politique importante avec des enfants en bas âge, et ces fuites indélicates sur ses dépenses de coiffeur et d'habillement, ne mériteraient-ils pas que les femmes la soutiennent ? "Non ! persiste Latifa Lylel. Nous dénonçons à l'unisson le sexisme dont elle est parfois la victime, mais le féminisme n'a jamais eu pour objet de faire obtenir un poste à une femme, plutôt de rendre la vie plus juste pour l'ensemble des femmes. C'est ce à quoi visait Hillary Clinton, ce qui a influencé Obama. En aucun cas Sarah Palin." Annick Cojean
[sondage=16133] (Vous pouvez indiquer plusieurs réponses)