Dès les années 1830-1840 commence le débat sur l'esclavage qui mène à la guerre de Sécession et à l'émancipation de 1863. Il est d'ailleurs frappant de constater que la mise en question de l'esclavage commence immédiatement après l'achèvement, vers 1830, de la démocratie blanche, comme si, par effet d'inertie, le principe d'égalité tendait, selon le modèle de Myrdal, à s'étendre de la sphère blanche à la sphère non blanche de la population, à passer de la revendication démocratique à la revendication abolitionniste. La reconstruction qui suit la guerre ne parvient pas cependant à faire des noirs émancipés des citoyens ordinaires. Les Blancs du Sud reprennent assez vite le contrôle de leur société et mettent en place une législation ségrégationniste : libérés sur le plan juridique, les Noirs sont en pratique privés du droit de vote et écartés de l'enseignement blanc. Mais le phénomène fondamental des années 1863-1900 est le développement dans la partie abolitionniste du pays d'attitudes séparatistes à la suite de l'émigration vers l'industrie du Nord de Noirs désormais libres de leurs mouvements. Les habitants du Nord unioniste, après avoir émancipé les Noirs du Sud et affirmé leur essentielle humanité, supportent mal l'immigration des anciens esclaves dans leur monde industriel. Ils refusent tout contact et rendent inévitable la formation de ghettos. Le Noir abstrait du Sud était un homme. Le Noir concret du Nord, bien qu'ouvrier et libre, ne rentre plus dans la catégorie "homme universel". Cette première tentative d'émancipation des Noirs révèle un conflit entre une strate consciente universaliste et une strate inconsciente différentialiste de la mentalité américaine. Une dynamique égalitaire se brise sur un ensemble solide d'attitudes inconscientes. Entre 1880 et 1920, l'inconscient reprend le contrôle du conscient puisque les théories politiques dominantes relégitiment une conception raciale de la société : en 1896, une décision de la Cour suprême (Plessy versus ferguson) valide officiellement, à l'échelle nationale et non simplement sudiste, l'idée de deux communautés, "séparées mais égales". On parlerait aujourd'hui d'apartheid.
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Plus généralement, les populations du Nord laissent apparaître, avant l'émancipation des Noirs, ce qu'il faut bien appeler une véritable négrophobie, un sentiment de peur et de haine s'exprimant par des attaques physiques directes. Dès la fin des années 1820 commencent dans le Nord, où les Noirs sont pourtant fort peu nombreux, des pogroms en série. En 1829, à Cincinnati, une attaque du quartier noir conduit la moitié de ses habitants à fuir vers le Canada. Mais c'est à Philadelphie, pourtant capitale des quakers abolitionnistes, que l'on enregistre le plus d'aggressions de Noirs dans les deux décennies qui suivent.
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Sans douter des sentiments humanitaires des abolitionnistes les plus convaincus, on a donc parfois l'impression que les populations du Nord contestent surtout l'esclavage parce qu'il permet l'existence des Noirs et conduit à une interaction trop forte entre Noirs et Blancs. Selon les abolitionnistes, l'esclavage a le tort d'encourager l'exploitation sexuelle des esclaves noires par leurs maîtres blancs. Consciemment, cette argumentation s'appuie sur le principe universaliste d'un droit des Noirs au respect. Inconsciemment, elle exprime un refus différentialiste de l'échange sexuel entre populations noire et blanche. Le système esclavagiste du Sud combinait refus du mariage mixte et tolérance des relations sexuelles entre maîtres blancs et esclaves noires. Ces relations sexuelles produisaient bien entendu des enfants métissés, non reconnus par leurs pères et automatiquement classés comme "noirs" par la conceptualisation américaine. Un premier paradoxe de l'histoire des relations raciales américaines est donc que l'abolition de l'esclavage, en liquidant l'économie de plantation, a produit pour la première fois dans l'histoire du continent une séparation radicale, sexuelle et génétique, des populations "noire" et "blanche".
En revanche, à Hawaii, les comportements sont différents, l'exogamie noire est élevée.