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Le devoir de mémoire ne soutient la construction du présent qu’en regard des effondrements d’hier.
La référence du pire et le culte de son souvenir se cristallisent dans les inaptitudes à valoriser l’humanité qui réside en chacun de nous.
Fertiliser le savoir par des pesticides ne contribue pas à nous rendre plus réceptif aux désirs d’être heureux. Au contraire, la complaisance et le fatalisme dédiés à l’absolution de nos erreurs pérennisent la nécrose qui les engendre.
La vigilance du passé obscurcit celle de l’actualité. L’hypocrite contrition de la commémoration de barbarismes antérieurs, occulte, de ses lamentables trémolos, l’horreur de ceux qui subsistent ou se fomentent au présent.

Ne pas sacrifier collectivement au devoir de mémoire n’implique pas d’oublier la souffrance des peuples ou d’absoudre les tyrans. Mais l’esclavagisme ne peut s’affranchir sur des fondations qui exhortent nos imperfections et dénature la volonté de nous en défaire.

Le droit du vivant à s’émanciper implique la désobéissance aux devoirs collectifs dès lors qu’ils entretiennent l’inertie garante de l’exploitation morale et sociale. C’est au présent qu’il nous faut occuper les espaces de la créativité, célébrer l’imaginaire et proscrire toutes les références réductrices instaurées par l’ordre religieux et marchand.

Sacraliser le parcours délétère de l’Histoire, comme un évangile salutaire à nos comportements, stimule l’instinct de prédation au détriment du respect et de la tolérance. Se féliciter des Croisades, des conquêtes Napoléonienne ou de la bataille de Verdun concède au terrorisme et à l’esclavagisme qu’il impose, un crédit qui stimule sa banalisation. La déification de la victoire ou de la suprématie relève d’une psychopathie que les refoulements émotionnels et l’exploitation marchande encouragent au nom de l’élitisme.

Applaudir à l’exécution d’un tyran, n’illustre pas la détermination à remédier aux causes de sa tyrannie. Mieux vaut fertiliser les terrains réfractaires au développement de son hégémonie. Au même titre que l’amputation d’un membre ne garanti pas l’éradication de la gangrène sur un métabolisme globalement infecté.

Le vivant doit honorer le présent et ne pas souscrire aveuglément à la désinformation qui l’asphyxie. La construction d’une société plus limpide implique de remplacer les références mortifiées par une créativité inconditionnelle qui rejette la rémanence soporifique des certitudes.

Le patriotisme n’est célébré que par la cécité nationaliste ou le romantisme puéril. Il s’oppose à considérer l’humanité en terme planétaire. Il repose, comme toute agressivité, sur la peur de devoir exposer ses faiblesses et celle de devoir partager ses privilèges. Pourvoyeur de xénophobie, de racismes, de protections territoriales, il néglige qu’un éventuel désastre nucléaire se gausse des tracés frontaliers ou des zones géographiques. Le culte de l’héroïsme dont le patriotisme est friand dissimule celui de la trahison ou de la délation. Le devoir de mémoire est toujours sélectif. Il n’engage sa morale qu’au titre d’ignominies identifiées dans lesquelles la raison d’état n’est jamais directement impliquée.
Le régime de Vichy et les tortures en Algérie sont frappés du sceau de l’amnésie.

La haine, le mensonge, la duplicité, la vénalité, s’ordonnent en émissaires fatalistes pour légitimer les idéologies du progrès et de la réussite. Les mentalités incapables de contrôler leur agressivité, tant elles sont incarcérées dans l’obscurantisme et les fanatismes religieux, ne jouissent guerre de leur comportement destructeur. Un résident de l’état d’Israël ou de Palestine qui passe sa vie entière, une arme à la hanche, parmi les reliquats sanglants de ses congénères, ne connaît de la vie que la nécrose qui la pourrie. Les convictions qui incitent à la terreur ou en résultent condamnent paritairement tous ceux qui les matérialisent. La prédation barbare ne disparaîtra qu’en débarrassant le présent des éthiques sacralisées et des complicités mercantiles qu’elles cautionnent.

Quand l’éducation scolaire contribue à l’apologie des évènements historiques, épurés par la censure académique, elle répond une nouvelle fois à la stratégie d’élevage en batterie qui sèvre l’enfant de sa curiosité naturelle et le dépossède de son droit inaliénable à la subjectivité.
Valoriser par des images d’Epinal, l’héroïsme, la conquête, la victoire, la défaite atteste d’un conservatisme et d’une sauvegarde de la bêtise qui avalise le spectacle désolant du pillage et du vandalisme.


Il ne s’agit pas de préconiser le nihilisme ou l’oubli arbitraire des évènements sordides qui jalonnent l’histoire des peuples. Il s’agit d’éviter la récurrente contribution des leçons collectives au savoir. Surtout quand elles sont martelées faute d’en instaurer de plus imaginatives.
L’héritage de l’obscurité confisque le désir de voir.
L’individu n’est pas une marchandise. L’esprit humain ne se libère de son incarcération qu’en regard de l’information qu’il assimile et jamais de celle qui lui est imposée.
Le devoir collectif repose sur le droit individuel. Nul ne peut frappé d’interdiction l’accès d’un espace de pensée ou d’expression, dès lors qu’il privilégie l’émancipation du vivant.