Myth Le 27/08/2009 à 00:47 Je pensais en faire un article complet pour mon blog, mais déjà que je vais lourder le monde avec Baten Kaitos d'ici peu, je ne vois pas trop l'intérêt de faire un doublon.
Je suis allé voir Numéro 9 avec Séraphine, donc avec la garantie d'en parler pendant trois heures à la sortie du cinéma. Comme pour Coraline, j'y suis allé un peu à reculons, la bande annonce était niaisouille à souhait et sentait limite le Jerry Bruckheimer ("Tu es le gentil, tu dois sauver le monde. Des questions ? - Ouais, je commence quand ?") Bilan: techniquement, c'est superbe. Les décors post-apocalyptiques n'ont pas été chatouillés à la légère, les personnages sont attachants, quand ils clamsent, on a mal pour eux, la musique est chouette, et l'histoire tient largement la route. Si si. C'est même une des meilleures à ce jour. Le problème, c'est que ce n'est pas une histoire de cinéma, pas même de cinéma d'aventure pour enfant à la Capitaine Sky et le Monde de Demain, mais un scénario de jeu vidéo.
Les deux premiers tiers du film, on découvre neuf poupées, neuf personnages qui ne savent pas qui ils sont et pourquoi ils vivent dans un monde alors qu'il n'y a plus personne pour encaisser le loyer. Neuf personnages complètement clichés, de la grosse brute mâle à la belle brute gracieuse (mais dangereuse), en passant par le doyen qui préfère ne pas chercher à trop en savoir pour garder ses fesses au chaud, le benjamin casse-cou mais trop vieux, le timide, le fou, le courageux, l'estropié, et je crois qu'on a le compte. Ca envoie tellement du cliché que les amateurs auront branché leur cerveau en mode Final Fantasy et se laisseront porter comme du petit lait par une aventure en HD qui est sacrément bien foutue et qui conserve la même structure narrative que dans un RPG (blabla - donjon - blabla - boss et on recommence) On aura relevé le contraste "personnages enfantins" / "monde de merde" qui rend très, mais alors très mal à l'aise. Bon point: l'animation et la mise en scène nous font oublier la technique au moment où les machines zigouillent les poupées. Mauvais point: on en cauchemarde la nuit, mais j'y reviendrai..
Et puis, boum, l'idée du siècle. On apprend que les poupées sont autant de subdivisions de l'âme d'un seul et unique individu qui voulait sauvegarder l'humanité, alors sur le point d'être salement amochée par les machines qui, les coquines, se sont rebiffées contre leurs créateurs. Autant la deuxième partie nous fait penser, dans la représentation, simultanément à Matrix, La Guerre des Mondes et Final Fantasy VI, autant la première est un remarquable coup de génie qui vient sublimer le choix d'avoir jusqu'ici des personnages complètement archétypiques. Seuls, ils sont ridicules, prévisibles, bref, rien de nouveaux. Mais un truc saute aux yeux en filigrane: ce qui se passe sous nos yeux, l'intéraction des personnages, l'ensemble des échanges des poupées n'est rien d'autre qu'une métaphore absolument génialissime de la complexité humaine. Ce qui, déjà, m'a fait pleurer de bonheur. Mais poussons le vice un peu plus loin et imaginons que Numéro 9 ait été un jeu vidéo, dont le joueur aurait incarné les neuf poupées façon équipe de héros qui décide d'aller sauver le monde après avoir bu un coup de trop à l'auberge. Imaginons la scène: vous vous baladez peinard avec vos neuf personnages que vous avez couvé pendant trente heure de jeu, et on vous annonce que ces neuf personnages n'en étaient qu'un. Les conséquences seraient immense ! En tant que joueur, vous seriez vraiment le dernier homme sur terre (ce qui est quand même vachement classe) ! Avec la possibilité de vous auto-reproduire, vu que la fille survit. Pendant trente heures, vous faites le larbin à coacher neuf pélos que vous considérez comme des potes, jusqu'à vous rendre compte que, non, ils sont directement lié à votre qualité de joueur, et que celle ne se limite pas à caresser la manette de la main droite tout en se prenant pour Dieu de l'autre, mais qu'elle est ancrée dans le scénario.
Tout ceci est bien joli, c'est même superbe, mais nous sommes dans un film, pas dans un jeu vidéo.
Au fond, la nuance est la même, sauf qu'on est un spectateur jusqu'au bout. J'ai bien aimé la métaphore de l'homme qui se fait dévorer des parties de son âme par la machine (et pas n'importe lesquelles, d'ailleurs: le vieux sage un peu fou, l'estropié timide, le fou rêveur, la grosse brute, et finalement, le sceptique. Ca mériterait une analyse plus poussée, mais ce n'est pas dénué de sens, et j'ai trouvé le sacrifice du sceptique, à la réflexion, plus "profond" qu'un simple drama ultra prévisible) puis qui tente se reconstruire alors qu'il lui manque des bouts. Dans l'action, je m'attendais à ce qu'ils se fassent tous bouffer et qu'ils parasitent The Brain de l'intérieur, mais ça aurait été trop simple, beaucoup moins intéressant..
Résumé pour ceux qui ne veulent pas lire le spoiler: ne portez jamais de slip au cinéma.
Sinon, comme Coraline, ce n'est pas fondamentalement un flim pour les enfants. Il fait peur, d'autant plus peur qu'il cumule tous les fantasmes horrifiques qu'un gamin peut avoir aujourd'hui: la grosse machine qui dévore les âmes plutôt que de trucider simplement les poupées, qui se reproduit, le choix des couleurs, la guerre, dont on ne voit pas grand chose mais qui nous glace le sang, bref, c'est quand même sacrément parlant. Du coup, j'ai vu dans Numéro 9 le jeu vidéo animé que j'ai toujours rêvé d'avoir. Beau, spectaculaire, prenant, loin d'être con, poussant à réfléchir, tout parfait, même si l'alchimie parait un peu maladroite.
J'ai vu le court métrage après coup, qui est mignon, touchant, mais beaucoup plus ciblé et concis. Intéressant à voir en parallèle, ni meilleur, ni moins bon que le long, juste totalement différent. Il spoile un peu, mais pas le plus important. A voir avant ou après, comme vous le sentez, mais à voir.
Un dernier mot doux à l'attention de Télérama qui a réussit à comparer l'univers de Numéro 9 avec la planète Terre de Wall-E. Qu'on embauche des ultra-élitistes dans les critiques ciné, je n'ai rien contre. Mais qu'ils viennent balancer avec condescendance sans prendre le temps de voir vraiment le film, c'est douloureux, surtout pour qui se prétend être une référence hebdomadaire culturelle. La planète Terre de Wall-E et le monde (utopique et uchronique) de Numéro 9 ont pour seul point commun d'être abandonnés, mais ils n'ont pas la même histoire (la première a été fuite par lâcheté et est également devenu ce qu'il est à la suite des actions répétées pendant 700 ans du petit Wall-E que j'aime, le second a subi un tapis de balle et un lâcher de gaz pour se faire dominer par les machines, qui ont fini par s'éteindre jusqu'à ce que...), ni la même fonction (Wall-E: une planète distante et lointaine, respectivement invivable pour les hommes, lieu de vie et d'amour de Wall-E, terre promise pour les hommes; 9: terre de désolation, point final; le seul attribut commun est l'espoir d'y commencer une nouvelle vie à la fin). Et visuellement, ça n'a rien à voir: très futuriste pour Wall-E, très années 30/steampunk pour 9.
TLDR: Numéro 9 est à voir, sacrément audacieux, franchement pas stupide et plus profond qu'il n'y parait. Il trouvera difficilement son public ("trop effrayant pour les plus jeunes, trop naïf pour les adultes", Télérama a raison sur ce point) mais il vaut le coup d'oeil, ne serait-ce que pour la technique. Si tu t'es déjà envoyé un film Final Fantasy, tu n'as juste aucune raison de ne pas être curieux sur ce coup. Voilà.