On aura sans doute remarqué l'emploi des guillemets autour de l'expression « propriété intellectuelle ». C'est qu'il y a dans cette dénomination un sous-entendu qui ne devrait pas être admis comme allant de soi, à savoir que la « propriété intellectuelle » relève de la propriété, et qu'à ce titre elle mérite d'être défendue au même degré que la propriété matérielle. On cherche donc à la faire passer pour un droit imprescriptible et inaliénable de l'homme. Il y a dans ce simple choix de terme tout un programme dont la reconnaissance silencieuse nous prive du droit à le contester. Et avec ce choix viennent également des jugements moraux sur ceux qui enfreignent le droit prétendu à la « propriété intellectuelle » : ceux qui ne la respectent pas deviendraient ipso facto des « voleurs » (témoins les campagnes publicitaires des défenseurs de la « propriété intellectuelle » qui n'hésitent pas à utiliser une terminologie aussi colorée). Voilà une façon commode de couper court à tout débat contradictoire, en déclarant, par un simple tour de rhétorique, nuls (ou extrémistes) et irrecevables tous les arguments qu'on pourra objecter.
Sans tomber dans cette rhétorique ainsi dénoncée, tentons de voir en quoi consiste au juste cette « propriété intellectuelle ».
Le droit en question recouvre des domaines assez variés. Il va du droit des auteurs, c'est-à-dire la « propriété » littéraire et artistique au droit des brevets, qui relève de la « propriété » industrielle. Entre les deux il existe ce droit étrange qui protège les auteurs de logiciels, et qui est assimilé, à l'encontre du sens commun, au domaine littéraire et artistique. Les buts recherchés sont également assez variés, allant d'un droit moral de reconnaissance de paternité à un droit purement financier de retour d'investissement, en passant par une protection de l'œuvre elle-même contre le plagiat. Dans tous les cas, il prend la forme d'un monopole garanti à une certaine personne (l'artiste-créateur, mais aussi parfois l'interprète, l'éditeur, l'héritier, l'employeur, l'investisseur) sur l'usage, la reproduction, la diffusion, la publication, d'une certaine information dans un sens large (œuvre littéraire, bien entendu, mais aussi base de données, logo, technique industrielle, idée dans un sens très vague — même si le Code de la propriété intellectuelle exclut théoriquement la brevetabilité des idées).
Bref, la « propriété intellectuelle » se résume en deux mots : « monopole » sur des « informations ». Et on voit dès lors à quel point son champ est large et terrifiant. Il n'est désormais plus aucune idée, aucun concept, aucune création, qui naisse libre : toutes sont soumises à cette « propriété » omniprésente.
Comparons maintenant la « propriété intellectuelle » à la propriété matérielle. En surface, il apparaît une ressemblance importante : il s'agit de garantir à une personne (le « propriétaire », qui n'a pas nécessairement de justification de paternité) l'exclusivité de la jouissance sur un objet matériel. En vérité, cependant, les différences sont considérables. D'abord, parce que la propriété matérielle est correctement circonscrite : elle ne concerne que des objects palpables et bien définis, ou des régions limitées de l'espace ; tandis que la « propriété intellectuelle » n'a aucune limite à son champ d'application. Ensuite, parce que la notion de « vol intellectuel » est un artifice rhétorique : il s'agit de copie et non de spoliation ; et nous reviendrons abondamment sur ce point. Enfin, parce qu'il est tout naturel qu'un objet matériel appartienne à une seule personne, lorsqu'il ne peut en être fait usage que par un seul : le monopole en ce qui concerne la propriété naturelle est inhérent, le droit ne faisant que codifier les modalités de sa répartition ; tandis qu'en ce qui concerne l'information, le monopole est artificiel et, nous espérons le montrer, nuisible dans son excès.
En raison de ces différences, nous affirmons que la prétendue « propriété intellectuelle » n'est pas un droit naturel.
Les droits inaliénables du troll :
1) le droit d'avoir raison
2) le droit d'être péremptoire
3) le droit de ne pas lire
4) le droit de ne pas répondre
5) le droit d'être de mauvaise foi
6) Autant pour moi / Faignant / Vivent Tintin et Milou