Ptit pavé inutile et brouillon
Nil (./208) :
Sans infantiliser le lecteur, c'est comme tout... beaucoup de gens se désintéressent pendant une longue période de la façon dont le pays est organisé.(...)
Hmm.
Dans les posts précédents je défendais la vision du citoyen libre et égal, informé et éclairé, qui livre souverainement son choix dans l'urne à l'abri des pressions sociales et psychologiques (et donc, notamment, sans "pédagogie" des gens du haut, vision hiérarchique et infantile).
Toutefois il ne s'agit que d'une fiction. Une fiction qui n'est pas inutile, qui n'est pas forcément éloignée de la réalité, mais qui n'est *que* la fiction sur laquelle on parie quand on veut fonder des institutions démocratiques.
Mais au delà de cette fiction il n'est pas inutile de s'interroger sur la fabrication de l'opinion publique et des rapports de forces politiques. Derrière ces questions il y a des faits sociaux qui ne se résument pas au citoyen éclairé et souverain face à l'urne.
Dans la démocratie mature (je pense à l'état nation libéral d'après guerre), les éléments qui structurent les opinions politiques sont, à mon sens : une alphabétisation complète de la société, le sentiment national, une (fausse) conscience de classe, des idéologies et une structuration verticale de la société. Je développe dans l'ordre :
Avant l'alphabétisation universelle (dans l'ancien régime), la société était stratifiée en ordres ; le niveau d'éducation, sans être le ressort le plus apparent de cette division, était le plus puissant (l'Eglise ayant initialement le monopole de l'écriture, plus tard partagé avec l'aristocratie). De ces niveaux d'éducations hétérogènes découlent des classes sociales séparées, qui se sentent aussi étrangères l'une à l'autres que des ethnies différentes (l'historiographie médiévale théorise explicitement sur ce point puisqu'elle affirme que le peuple descend des gallo-romains, alors que l'aristocratie descend de la noblesse franque). J'ai développé cette situation d'ancien régime pour en souligner le contraste avec la société moderne. L'alphabétisation universelle (donc l'homogénéité du niveau éducatif) fait émerger un puissant sentiment d'égalité dans l'égalité, et balaie les anciennes consciences de classe. En outre, bien sûr, l'alphabétisation est une ouverture vers le monde. Le paysan quitte par ses lectures le cercle de 50km autour de son village, où il va passer 99% de sa vie, et découvre l'extension géographique de cette société d'égaux à laquelle il a conscience d'appartenir. Son exploration s'arrête cependant là où les écrits s'arrêtent : barrières linguistiques bien sûr, mais aussi douanières, militaires, culturelles, politiques... On en arrive donc au deuxième point qui fonde historiquement les démocraties : l'existence de nations (qui sont des concrétions historiques, politiques, culturelles, juridiques), et le sentiment chez chacun d'appartenance à une société, appartenance de nature nationale. Nous voilà dans l'Etat-nation qui nait (en France) vers l'époque de révolution française.
Dans cet Etat-nation, le capitalisme émergeant va structurer la société en classes sociales (en fait il va essentiellement faire apparaître une classe de déshérités : les ouvriers). Se développe donc la conscience de classe, qui peut d'ailleurs être une fausse conscience (c'est à dire qu'on n'appartient objectivement pas à la classe à laquelle on se sent attaché. Exemples divers : un intellectuel de gauche comme Jean Paul Sartre se sent une communauté de destin avec la classe ouvrière, un monde auquel il n'appartient pourtant pas du tout. Le militant gaulliste de base des années 60 se croit populaire, en réalité il est plutôt classe moyenne ou petit bourgeois. Dès 1830 les parisiens se livrent à une révolution à coloration ouvriériste, alors même que la France est très peu industrialisée : la conscience de classe est en avance sur les classes réelles).
La Question Ouvrière (qui met à mal l'unité nouvellement acquise de l'Etat-nation) génère aussi des idéologies qui prétendent améliorer cette société un peu cassée par le capitalisme. Il y a schématiquement deux grandes réponses à la question ouvrière :
- Il faut prendre le parti des ouvriers, qui subissent l'injustice du système ; la classe ouvrière doit donc subjuguer le reste de la société. C'est la base des idéologies de gauche, socialistes ou communistes.
- Il faut réintégrer les ouvriers à la nation ; recréer l'unité nationale. C'est la base des idéologies de droite, nationalistes.
Enfin, à partir de ces consciences sociales, de ces idéologies et d'une lente maturation, apparaissent de grandes structures verticales dans la société.
- L'exemple le plus évident est le parti communiste. Le PC a bien sûr ses ouvriers, ses syndicats, ses électeurs populaires. Mais il a aussi ses "cadres" : intellectuels, politiques... il a ses entrées au parlement et dans les institutions. En fait c'est tout une société en miniature, qui a représenté à son apogée 1/4 de la société française.
- Plus discret mais aussi imposant : le monde catholique. Soudé par la foi, il est en apparence surtout bourgeois ; malgré tout il a ses ouvriers, ses classes moyennes, ses intellectuels... Une autre société en miniature, qui pèse autant que le monde communiste.
Je pense qu'on peut identifier en France encore deux grandes structures verticales, quoique moins importantes :
- La social-démocratie, surtout implantée dans le sud (socialisme cassoulet).
- La droite bonapartiste/gaulliste/poujadiste, aux contours peut être plus difficiles à cerner, mais qui a acquis une identité forte autour du personnage de de Gaulle.
Voilà ce qu'est la démocratie française arrivée à maturité (disons après guerre et pendant les trente glorieuses). Soudée par les souffrances de la guerre puis les satisfactions économiques, elle a trouvé la paix civile. Quatre grandes structures socio-politiques verticales s'affrontent. Etant verticales, il n'y a pas vraiment de haut contre le bas, d'élites contre le peuple : les questions ouvrières remontent à l'assemblée (via les députés communistes notamment, mais en fait via tous les députés), à l'inverse le haut de la société est capable de regarder en bas ; un député/journaliste/intello/whatever communiste (ou ce que vous voulez) se sentant plus proche d'un ouvrier communiste que d'un collègue dans la même classe sociale, l'égalité politique est assurée.
Les idées politiques sont élaborées et rendues cohérentes au sein de ces grandes structures. Les 50 ouvriers qui font grève dans une usine quelconque trouvent une lecture du monde (marxiste) et un argumentaire (syndical) construits et solides à travers cette société communiste à laquelle ils appartiennent. Le village bien rural où tout le monde va à la messe trouve aussi une cohérence de pensée à traversles mèmes catholiques.
Individuellement chacun est libre et capable de s'abreuver à différentes sources ; les opinions individuelles sont cependant enchevêtrées dans des constructions collectives qui leur donnent de la solidité.
Demain je ferai un pavé sur l'idée qu'on ne vit plus tout à fait en démocratie (au sens décrit plus haut) et je détaillerai ce qui a changé depuis les années 70/80. (et anecdotiquement en quoi la pédagogie électorale est révélatrice de tout ça)
soit se diriger vers les groupes qui ont un discours fondamentalement simpliste (le NPA, l'extrême droite
, le PS, l'UMP...