individualisme méthodologique
L'individualisme méthodologique prétend "partir" du seul individu pour comprendre la vie sociale.
L'individu déjà formé avec ses savoirs, ses croyances, est supposé être l'unité de base d'évidence susceptible d'une "approche non idéologique". Cette "évidence" conduit à privilégier la particularisation au détriment de l'
individuation, qui rend compte de la genèse et du dépassement de l'individu. L'individualisme méthodologique est un des piliers fondateurs de l'anarcho-mercantiliste : les égoïsmes-particularités sont censés construire, par le truchement de leurs interactions formant un
marché, une harmonie supérieure. L'empiriste mercantile (...) est naturellement un fanatique de l'individualisme méthodologique. Selon lui, le
socius se réduit à des faits de langage, langage d'ailleurs instrumentalisé en chaînes signifiantes binarisables, numérisables, vouées à la communication transparente exigée par la démocratie-marché :
Le langage sera honnête et numérique ou ne sera pas.
Nous proposons ici quelques jeux, dont la description a été empruntée soit à J.M.Buchanan, soit à J.-P.Dupuy, et qui permettent au lecteur bizut de s'initier aux vaudevilles cybernétiques de l'individualisme méthodologique :
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Le Marchand de pastèques et le Professeur (cf texte de Buchanan, note 8 du chapitre 3);
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la conjugalité pré-mercantile de Robinson et Vendredi (cf Buchanan :
Les limites de la liberté, op.cit.,p.12);
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Dilemme du prisonnier (Dupuy,
Logique des phénomènes collectifs, p.53; nous avons suivi le texte... avec quelques modifications!):
Considérez le jeu suivant. Deux condamnés à mort attendent dans leurs cellules respectives le jour prochaind e leur exécution. Un beau matin, ils reçoivent un message du grand vizir : celui-ci a décidé de les gracier. Le lendemain matin, ils seront donc libres. Cependant, ils peuvent, s'ils le souhaitent, demander que leur condamnation soit commuée en une peine de dix ans de prison. Si tel est le cas, ils doivent addresser leur requête au vizir le jour même, avant minuit : elle sera immédiatement agrée. Mais ils doivent savoir alors que leur compagnon d'infortune sera le lendemain exécuté, et non pas gracié - sauf s'il a lui-même souhaiter "bénéficier" de dix ans de prison. Les prisonniers n'ont aucun moyen de communiquer. Chacun des deux prisonniers a le choix entre deux stratégies : ne rien faire, ou écrire au vizir. La première est une stratégie de coopération, la seconde de désertion - puisque, e, demandant dix ans de prison, on risque de condamner l'autre à mort : une désertion dont on ne voit pas à première vue l'avantage qu'elle peut bien apporter à celui qui s'en rend coupable. Il semble vraiment qu'il n'y ait pas de problème.
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Conjugalité post-moderne : le sèche-cheveu de Turbo-Bécassine :
Le sèche-cheveu de Turbo-Bécassine est cassé. Elle souhaite que Cyber-Gédéon le répare mais elle ne veut pas le lui demander directement. Elle imagine la mise en scène suivante. Elle démonte le sèche-cheveu et en éparpille les pièces autour d'elle, comme si elle était en train de le réparer elle-même. Mais elle s'arrange pour que Cyber-Gédéon se rende compte précisément qu'il s'agit d'une mise en scène. Son intention est bien d'informer Cyber-Gédéon qu'elle souhaite son aide, et le moyen quelle trouve pour transmettre cette information est de rendre manifeste à Cyber-Gédéon qu'elle a cette intention de l'informer. Cependant, cette intention de deuxième niveau - l'intention de rendre manifeste que l'on a l'intention d'informer - doit rester cachée à Cyber-Gédéon. C'est là la différence essentielle avec une communication ouverte, par laquelle Turbo-Bécassine demanderait directement à Cyber-Gédéon de l'aider. Avant d'analyser plus précisément en quoi consiste cette différence, voyons ses implications sur la relation entre Turbo-Bécassine et Cyber-Gédéon. Ces implications sont considérables. Turbo-bécassine ne veut rien devoir à Cyber-Gédéon mais elle ne veut pas non plus se voir rejetée. A s'adresser ouvertement à lui, elle prend ce double risque. Sa mise en scène lui permet d'y échapper totalement. Si Cyber-Gédéon s'exécute, c'est de son propre chef ; Turbo-Bécassine, qui ne lui a rien demandé, ne lui doit rien. Mais Cyber-Gédéon peut très bien ne rien faire, après tout, il n'est pas censé avoir interprété le manège de Turbo-Bécassine comme une demande d'aide. Turbo-Bécassine lui a ménagé cette porte de sortie : il ne s'agira pas d'un refus pénible, mais d'un simple manque d'attention.
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Paradoxe de Newcomb (ou [/i]la boîte à malice de monsieur le prédicteur Strumpf, ibid[/i], p.98) :
Soit deux boîtes, l'une, transparente, qui contient mille francs, l'autre, opaque, qui soit contient un million de francs, soit ne contient rien. Le choix de l'agent est soit A1 : ne prendre que le contenu de la boîte opaque, soit A2 : prendre le contenu des deux boîtes. Au moment où le problème est posé à l'agent, le prédicteur Strumpf a déjà placé un million de francs dans la boîte opaque si et seulement s'il a prévu que l'agent choisirait A1. L'agent sait tout cela, et il a une très grande confiance dans les capacités prédictives du prédicteur Strumpf. Que doit-il faire?
Le lecteur sera probablement étonné de la puérilité pathétique de toutes ces psychologies censées se coltiner avec une "perplexité" manifestement confectionnée pour la théorie des jeux et susceptible de recevoir l'adoubement des spécialistes de l'individualisme méthodologique. Nous saisissons mieux le regret de l'économiste Alfred Marshall : "Si j'avais une autre vie, je le consacrerais à la psychologie." On ne répètera jamais assez que ce sont des amateurs (souvent peu doués) en psychologie qui ont fondé l'économie néoclassique. Certains ont même pu penser que le coeur du problème économique, c'est la psychologie. C'est vrai... si celle-ci se réduit à des calculs de droguiste ou des facéties de pion d'internat. Pour faire plus moderne, et séduire les Cyber-Gédéons, les Turbo-Bécassines et autres Topazes post-modernes, il convient naturellement d'épicer avec de l'économétrie et de la théorie des jeux.
Sally :
D'après lui, donc, la seule propriété légitime est celle que tu gagnes à la sueur de ton front, ça veut donc dire que dans une société libertarienne il faudrait genre donner une certaine « somme de départ » fixe à toute personne parvenant à l'âge adulte, et supprimer toute notion d'héritage ? puisqu'un homme ne peut en aucun cas être responsable des actes de ses parents, et que donc il ne mérite pas ce qu'ils ont gagné.
Il y a deux variétés de libertariens, je pense. La première favorable à une taxation *totale* de l'héritage, pour un départ à égalité dans la vie (ceux là sont donc cohérents avec ce que tu dis). La seconde assimile l'héritage à un *don*, et le don est libre, etc... (Je crois que Faré est dans la deuxième catégorie).
very :
En fait, les socialistes (sociaux-démocrates en gros) américains

Pas socio-démocrates (ya pas de socio-démocrates aux états unis). On pourrait dire travaillistes, par exemple.
Pour mieux me faire comprendre, leur graphique favori t'éclairera surement un peu plus:

Oui, il est super connu ce graphique.
En général, on met le communisme et le fascisme dans les coins du bas, la droite conservatrice en haut à gauche, et le Grand Nirvana des Fauves Libéraux en haut à droite.
Mais ce graphisme, qui est censé classifier les idéologies politiques, ne me convainct pas du tout. D'abord (évidemment), il donne au libertarisme une place démesurée (alors que ce n'est qu'une
petite idéologie). Ensuite, la compréhension qu'il offre des idéologies
non anglo-saxonnes est très faible. D'ailleurs, la place exclusive qu'il donne au concept de "liberté" montre bien qu'il est uniquement centré sur la mentalité politique anglo-saxonne.
Par exemple, on sait bien qu'il y a dans le monde deux grandes pensées libérales : la pensée anglosaxonne, issue de la société anglaise du XVIième et XVIIième siècle, et la pensée française, issue des Lumières et de la Révolution. Pour la seconde, le concept d'"égalité" est aussi important que celui de "liberté", alors que la première ne s'y intéresse pas du tout. Le diagramme de Nolan est incapable de situer ce libéralisme français. Quant à comprendre les pensées politiques allemandes ou russes... c'est encore moins possible.
Je te propose un autre diagramme, à mon avis beaucoup plus fin, pour classifier les idéologies politiques.
(Attention, Moumou, détourne pudiquement le regard, ça va todder...)
On a besoin de trois axes :
- le premier est un axe autorité/liberté, qui mesure si les gens sont définis comme soumis ou autonomes par rapport à la société, au pouvoir. (La distinction entre liberté individuelle et économique est décrétée oiseuse et supprimée)
- Le second est un axe inégalité/égalité, qui mesure si les gens sont perçus comme hiérarchisés ou non, d'essences similaires ou incompatibles.
- Le troisième est l'axe gauche/droite, qui apparaît en même temps que l'industrialisation. Pour le définir, on peut dire grosso modo qu'une idéologie de gauche s'intéresse avant tout à la classe ouvrière, alors qu'une idéologie de droite s'intéresse à la nation dans son ensemble.
Les deux premiers axes sont déjà déterminés géographiquement : l'autorité, la liberté, l'inégalité, l'égalité sont des valeurs transmises par les sociétés de génération en génération, par inertie culturelle. Voilà quelques pays et leur position :
Egalité
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| Russie, Chine, Italie centrale Majorité de la France, de l'Espagne,
| (Sociétés *communautaires*) du Portugal, de l'Italie, du monde latin
| (Sociétés *libérales égalitaires*)
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| Allemagne, Autriche, Suisse, Monde Anglo-saxon en général, Danemark,
| Suède, Corée, Japon, périphérie Hollande
| de la France (Sociétés *libérales non égalitaires*)
| (Sociétés *souches*)
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Inégalité
/ Autorité--------------------------------------------------------------------------------------------> Liberté
(Déjà, on peut voir les hostilités politiques traditionnelles maximales : entre Etats-Unis et Russie, entre France et Allemagne, ou même la France contre elle-même.)
Maintenant, si on remplit le tableau avec les idéologies correspondantes, on obtient à peu près ça :
Egalité
^
| Gauche : Communisme Gauche : Socialisme anarchiste
| Droite : Fascisme Droite : Libéral-militarisme
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| Gauche : Social-Démocratie Gauche : Travaillisme
| Droite : Ethnocentrisme Droite : Libéral-Isolationnisme
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Inégalité
/ Autorité---------------------------------------------------------> Liberté
Avec quelques précisions :
1) Le communisme, ici, c'est le communisme réel, tel qu'il s'est installé en Russie ou en Chine. La direction du Parti Communisme Français peut,
à la rigueur, être placée là pendant sa longue période stalinienne, mais certainement pas les sympathisants. En revanche, c'est la place du PCI italien.
2) Le fascisme, c'est le fascisme originel de Mussolini (mouvement d'extrême droite autoritaire rongé par l'égalitarisme ambiant de la société), et pas autre chose (pas le nazisme notamment)
3) Le socialisme anarchiste : C'est la vraie place du communisme français (et espagnol). On peut y mettre les innombrables révolutions de gauche en France, les Gracchus Baboeuf, Louise Michel, Bianquis, etc...
4) Libéral-militarisme : une idéologie de droite maintenant un minimum d'ordre dans une société quasi-anarchiste, mais sans parvenir à vraiment être autoritaire. Par exemple : le bonapartisme (surtout la période dite "libérale" du Second Empire), le boulangisme, le gaullisme.
5) Ethnocentrisme : ça peut prendre divers formes. Dans un pays petit ou dominé (Suisse, Japon), c'est une conscience aigüe de soi-même associée à une neutralité défensive et bienveillante. En France où l'ethnocentrisme est dominé politiquement, c'est une vieille droite conservatrice qui désespère de son propre pays, avec des penseurs comme Maurras qui regrettent le manque de discipline et l'"égalitarisme" de la société. Dans certaines circonstances très exceptionnelles, ça peut être un ethnocentrisme aggressif, comme le nazisme ou le militarisme japonais.
6) Libéral-isolationnisme : L'Angleterre victorienne, par exemple, ou bien la position traditionnelle des Etats Unis.
[Ce tableau suffit pour placer les "mondes politiques" du monde industrialisé, mais il n'est pas tout à fait suffisant pour le monde entier. Par exemple, pour placer le monde arabe, on aurait besoin d'un quatrième axe "exogamie/endogamie", le monde arabe serait alors dans le coin autorité/égalité/endogamie, avec pour idéologies l'islamisme et le nationalisme pan-arabe façon Nasser ou partie Baas)]
Bon, alors, maintenant, où peut on mettre le libertarisme? En fait ce n'est pas grand chose, c'est juste une petite idéologie secrétée par le monde anglosaxon dans un contexte violemment anti-nationniste (ce que Moumou a perçu comme une "négation du contrat social"). Certes, il arrive que le libertarisme parle de la nation, mais c'est une illusion (jamais un libéral "à l'ancienne" n'aurait pu dire, comme Tatcher, que "la société n'existe pas").
On peut faire un parallèle entre le libertarisme et l'européisme. L'européisme est une idéologie anti-nationniste sécrétée par les sociétés souches européennes. En raison de leur caractère anti-nationniste, le libertarisme comme l'européisme apparaissent souvent plutôt comme des
anti-idéologies ou des idéologies nihilistes, dont le projet est une
liquidation plutôt qu'une construction.